mercredi 21 septembre 2011

A quoi servent les monnaies virtuelles ?

© Cybrain / Fotolia
Il existe plus de 5000 monnaies complémentaires aux monnaies fiduciaires, selon la Fondation Internet nouvelle génération (Fing). Facebook Credits, Bitcoins, Twollars et Linden Dollars en sont des exemples virtuels. Pourquoi un tel engouement pour ces échanges alternatifs ? Ces monnaies sont-elles le signe de l'émergence de nouveaux modèles, d'une réinvention des systèmes traditionnels, ou ne relèvent-elles que du gadget ? Analyse.
Réalisé par Hugo Sedouramane
Publié le 20/09/2011

Stockées sur des supports numériques, tel un ordinateur, un serveur ou un réseau, les monnaies virtuelles sont des valeurs monétaires dématérialisées. Leur utilisation suppose donc l'existence de devises et de porte-monnaie électroniques permettant leur stockage et leur circulation. En un mot, ces monnaies ont le même but que l'argent réel, à savoir l'achat de biens, virtuels ou non. La définition semble simple, mais il existe pourtant différents modèles.


jean-michel cornu, directeur scientifique de la fondation internet nouvelle
Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) © Fing

Pour Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (FING) et spécialisé dans l'innovation monétaire, il existe trois types de monnaies. "D'abord les monnaies conventionnelles que nous connaissons tous et qui sont gérées par des banques centrales, comme l'euro. Il existe également des monnaies alternatives, comme les Facebook Credits. Dans cette situation c'est une entreprise qui joue le rôle de la banque centrale. Enfin il y a les monnaies complémentaires, virtuelles ou non, dont le territoire est le plus souvent limité géographiquement et qui cherchent à favoriser un certain type d'échange".


On peut également distinguer les monnaies virtuelles selon qu'elles sont centralisées ou non, c'est-à-dire qu'elles disposent ou non d'un organe central régulateur. "A ceci près que même Bitcoin n'est pas complètement décentralisée, puisqu'elle repose sur un algorithme et des règles définis par son inventeur qui jouent le rôle d'organe central, même si la circulation peut sembler libre", poursuit Jean-Michel Cornu.


le lindel dollar de second life permet de s'acheter des biens virtuels pour
Le Lindel Dollar de Second Life permet de s'acheter des biens virtuels pour compléter son environnement © Capture d'écran / Second Life

L'une des premières monnaies virtuelles à avoir fait parler d'elle est le Linden Dollar (L$), monnaie de l'environnement virtuel Second Life. Comme toute devise, il est possible de l'échanger avec d'autres : dans ce cas un euro équivaut actuellement à environ 324L$. Si le modèle du Linden Dollar est aujourd'hui dépassé, les monnaies virtuelles n'en sont pour autant pas mortes, comme l'illustrent les Facebook Credits. La société californienne a instauré un modèle d'échange basé sur sa devise au sein du réseau social. L'organe régulateur de cette devise est une filiale de Facebook baptisée Facebook Payments.


Ces crédits permettent d'acheter des applications ou des objets virtuels utilisables dans les applications, le plus souvent des jeux. L'intérêt pour Facebook : se positionner en tant qu'intermédiaire entre les éditeurs d'applications et les internautes, de manière à appliquer une commission (30 %).


L'autre modèle dominant, décentralisé, est revendiqué par Bitcoin. Le système fonctionne comme une plate-forme de téléchargement en peer to peer, avec des algorithmes sécurisant et anonymysant les transactions. "L'anonymat est le principal intérêt du Bitcoin. Le modèle repose sur la confiance apportée au système, il est donc limité. D'autres modèles, comme le projet MetaCurrency, proposent de rendre tout visible, notamment les flux qui circulent entre les communautés" tempère Jean-Michel Cornu.


Les utilisateurs de Bitcoins peuvent ainsi s'échanger directement de l'argent. Pour ce faire, seule une installation du logiciel en open source est nécessaire. Ce dernier se comportera alors comme un portefeuille électronique.


Conscient des interrogations politiques que suscitent ces systèmes, Jean-Michel Cornu précise que "les monnaies virtuelles ne dérangent pas en tant que moyens de paiements. Elles devraient en outre se développer grâce à l'essor du mobile". Ce qui inquiète, c'est leur légalité, leur contrôle et leur fiscalisation. "Il est toléré de créer de la masse monétaire dans une moindre mesure, c'est notamment ce qui se passe avec les Smiles. Mais on peut reprocher à une monnaie virtuelle plus répandue que les Smiles de ne pas, par exemple, financer les collectivités" conclut-il.


bien que plus indépendantes de l'économie, les monnaies virtuelles peuvent
Bien que plus indépendantes de l'économie, les monnaies virtuelles peuvent connaître de fluctuations, comme le montre ici le cours du Bitcoin. © Capture d'écran / MT. Gox
Logos, templates, hébergement, jeux en ligne, musique, petites annonces, vêtements, matériel électronique ou livres ne sont que quelques exemples de ce qu'il est possible d'acheter en ligne avec des Bitcoins, répertoriés dans leur quasi-totalité sur le Wiki de Bitcoin. De plus en plus de domaines d'activité s'ouvrent aux Bitcoins et aux Etats-Unis, des hôtels, restaurants, agences de voyages ou même salles de sports commencent à accepter cette monnaie. Une simple transaction via l'Internet mobile suffit, pour acheter par exemple son déjeuner au Meze Grill, un restaurant de Manhattan. Mais les équipements touristiques acceptant les Bitcoins communiquent très peu dessus, ou discrètement. Un signe que ce type de pratiques soulève des interrogations. La possibilité de dépenser des Bitcoins en points de vente reste à ce jour marginale.

Sur Facebook ou Second Life, les achats sont purement virtuels. Ils se focalisaient à l'origine sur les bien virtuels des jeux en ligne, comme ceux édités par Zynga, mais l'utilisation des Facebook Credits tend à se répandre vers de nouveaux services intégrés aux réseaux sociaux.


Ainsi en mars, Warner Bros proposait aux internautes de louer le film "The Dark Knight" en streaming sur Facebook, pour la somme de 30 Facebook Credits, soit 3 dollars. Une opération reprise en août par Miramax.


miramax propose de payer la location de films en facebook credits sur son
Miramax propose de payer la location de films en Facebook Credits sur son application Facebook © Capture d'écran / Miramax


En avril, Facebook tentait un assaut sur le marché des coupons avec la création de Facebook Deals (à ne pas confondre avec le service de coupons géolocalisés, les Check-In Deals), que les internautes pouvaient acheter notamment avec des Facebook Credits. Pas pour longtemps cependant, car la plateforme de coupons de Facebook a fermé fin août.

Favoriser le développement économique local

Tandis que les Facebook Credits partagent l'objectif commercial des monnaies traditionnelles, des monnaies complémentaires dont l'objectif n'est nullement commercial continuent de faire leur apparition. C'est le cas de l'Euro-RES en Belgique, ou de son équivalent WIR en Suisse. "Ce système permet par exemple à une entreprise de payer une partie d'un achat en euros, et l'autre en Euros-RES. Ainsi, un réseau de partenaires à échelle locale se crée" souligne Jean-Michel Cornu. C'est ici une manière pour les PME d'étendre leur réseau de partenaires et leur portefeuille client. L'objectif de cette monnaie est donc la stimulation de l'économie locale, à laquelle s'ajoutent des offres de crédits sans intérêts. "L'avantage pour les commerçants, c'est d'accéder à une monnaie qui ne se dévalue pas et qui les fidélisent à un système valorisant la proximité. S'ils achètent pour cent euros d'Euros-RES, ils en recevront 110 ".


On notera aussi la création début 2009 des Twollars, monnaie virtuelle utilisable sur Twitter, aussi bien pour récompenser les contributions les plus intéressantes ou pour remercier un ami, que pour faire des dons à des grandes causes ou ONG.
L'usage des Facebook Credits tend à s'étendre : fin avril, le marché des Facebook Credits aurait atteint une valeur de 600 millions de dollars, selon Social Times Pro. Mais au delà d'une monnaie virtuelle, c'est aussi un véritable programme de fidélisation que tend à instaurer le réseau social.


En plus de développer des relations avec des éditeurs d'applications, Facebook dispose d'une stratégie de distribution de sa monnaie virtuelle à plusieurs niveaux.

Les achats de Facebook Credits sont possibles directement dans les applications, permettant aux éditeurs de monétiser leurs offres, supposant toutefois une commission de 30 % pour Facebook.

A l'automne 2010, Facebook a mis en place un système de "cartes cadeaux", qui sont en réalité de simples cartes prépayées permettant aux internautes d'acheter des Facebook Credits en magasins aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Il est par exemple possible de s'en procurer chez Wal-Mart ou Best Buy.


Pour diversifier l'expérience utilisateur, le réseau social a également lancé une fonctionnalité appelée "Buy with friends", grâce à laquelle les utilisateurs de jeux sociaux peuvent partager leurs achats de biens virtuels avec des amis, qui pourront eux-mêmes acheter ce type de produits sans forcément être connectés au jeu en question.

les facebook credits peuvent s'acheter, ou 'être gagnés' en participant à des
Les Facebook Credits peuvent s'acheter, ou "être gagnés" en participant à des programmes de fidélisation © Capture d'écran / Facebook


Fin janvier, 150 éditeurs représentant 350 applications utilisaient le système des Facebook Credits, soit 70 % des transactions des biens virtuels sur le réseau social. Ces éditeurs sont pour la plupart à l'origine de jeux sociaux : Zynga, Playfish, CrowdStar, Digital Chocolate, PopCap ou encore Arkadium. Et depuis le 1er juillet, tous les achats de biens virtuels (y compris VOD, musique, articles de presse en ligne...) doivent être payés en Facebook Credits : le réseau social n'accepte plus aucun autre moyen de paiement pour les biens virtuels. Naturellement, quantité d'éditeurs n'ont pas apprécié cette main-mise de Facebook qui étend à tous les biens virtuels sa commission de 30%. En échange, le réseau social promet aux développeurs d'applications de trouver un mode de monétisation plus ludique pour leurs applications. Concrètement, Facebook met à disposition des développeurs un centre de support leur permettant d'obtenir les informations nécessaires à l'intégration des Facebook Credits dans une application.

Une alternative aux programmes de fidélisation classiques ?

ifeelgoods propose différents moyens de gagner des facebook credits, notamment
Ifeelgoods propose différents moyens de gagner des Facebook Credits, notamment en consommant chez des e-commerçants affiliés. © Capture d'écran / Ifeelgoods

Smiles, Maximiles et bien d'autres programmes qui permettent aux consommateurs d'accumuler des points ont démontré leur capacité à engager les internautes auprès des marques.

Le modèle des Facebook Credits n'en serait alors qu'une réinvention purement virtuelle, puisant dans la diversité des usages en ligne, comme le jeu ou la consommation de médias.


Facebook cherche ainsi à se créer un réseau de partenaires susceptibles de souscrire aux Facebook Credits pour fidéliser non seulement les consommateurs auprès de leurs marques, mais également les internautes sur Facebook. C'est ainsi que le modèle d'Ifeelsgoods est né, permettant aux e-commerçants d'offrir des Facebook Credits aux internautes s'ils achètent en ligne, partagent une information ou encore s'abonnent à une newsletter. En janvier, Laredoute.fr fut ainsi le premier e-marchand européen à récompenser les achats en attribuant des crédits Facebook.


Le 15 septembre, 7 274 850 Bitcoins étaient en circulation, et dans la même journée, son prix a varié de 5,12 à 5,6 dollars, soit un montant total d'environ 40 millions de dollars. Mais la valeur du Bitcoin n'a pas toujours été celle-ci. A la création de la monnaie en 2009, un Bitcoin valait moins d'un centime de dollars. Se voulant à l'origine une monnaie virtuelle stable, le Bitcoin a depuis dû faire face à différentes critiques.


En 2009, un inconnu affichant le nom de Satoshi Nakamoto met son invention en exécution après deux ans de recherches et lance Bitcoin. Basée sur un modèle peer to peer, son utilisation passe par un logiciel libre. A la différence d'autres monnaies virtuelles dont la stabilité repose sur la confiance portée aux autres utilisateurs, le modèle Bitcoin repose sur la confiance dans l'infrastructure du système, à savoir ses méthodes cryptographiques et l'architecture du réseau. Pour qu'une transaction soit valide, elle doit être publique, permettant ainsi d'éviter qu'une personne utilise deux fois le même Bitcoin.


chaque transaction est publique, mais anonyme.
Chaque transaction est publique, mais anonyme. © Capture d'écran / Bitcoin


Le Bitcoin est aussi supposé résister à l'inflation, car ne dépendant ni d'un Etat, ni d'une banque centrale. Mais il ressemble cependant à toute monnaie fiduciaire : il est par exemple possible de le convertir en différentes devises sur des places de marchés comme Mt.Gox.


Pourquoi le prix du bitcoin a augmenté et ensuite baissé ? La réponse tient dans une demande qui fut un temps croissante, puis décroissante. Même si le système souhaitait se protéger lui même en limitant le volume en circulation à 21 millions de Bitcoins, son utilisation marginale empêchait que s'instaure une valeur plancher comme dans un système monétaire traditionnel.


Que s'est-il passé ? Les internautes ayant spéculé sur le Bitcoin étaient convaincus que les prix allaient remonter. En août, le marché a connu une forme de krash, et de plus de 13 dollars au 1er août, la valeur du Bitcoin a perdu 6 dollars en une semaine. Les internautes se sont ainsi empressés de reconvertir leur monnaie en devises traditionnelles, ce qui n'a fait qu'accélérer la dévaluation de la devise.


Critiques et limites du système

Enfin, en juin, deux sénateurs démocrates américains ont demandé de mettre fin à ce système en invoquant deux raisons : le Bitcoin faciliterait le blanchiment d'argent, et l'absence de contrôle lié à la décentralisation des flux ne sont pas en mesure de protéger les consommateurs.


Ainsi, Jason Calacanis, cofondateur de Weblog, ancien General Manager de Netscape et ancien collaborateur du fonds Sequoia Capital, a publié en mai un article sur le blog de Launch (un conférence dédiée aux start-up) indiquant qu'il voyait en Bitcoin l'un des plus dangereux projets jamais lancés.


D'une part, il dénonce lui aussi le modèle comme facilitateur du trafic de drogue, en raison de l'intraçabilité des transactions. D'autre part il reste convaincu que les gouvernements vont petit à petit interdire les Bitcoins. Pour lui, le Bitcoin va devenir un objet de spéculation incontrôlable et insécurisé. Un exemple : si un ordinateur tombe en panne et le porte-monnaie électronique avec, l'aventure Bitcoin de leur propriétaire s'arrête là.


les risques ne sont pas inévitables. il y a cinq jours, un botnet a réussi à
Les risques ne sont pas inévitables. Il y a cinq jours, un botnet a réussi à générer des bitcoins et à les redistribuer. © Capture d'écran / Twitter

Nouvelles monnaies, une alternative sociale ?


L'innovation monétaire a la possibilité de créer de nouveaux modèles sociaux d'échanges, que les monnaies soient virtuelles ou non. Mais en considérant qu'une monnaie traditionnelle puisse être dématérialisée ou puisse inspirer des créations de monnaies virtuelles, "elles peuvent être des moteurs de changements comportementaux" souligne Jean-Michel Cornu.


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Réalisé par Hugo Sedouramane
Publié le 20/09/2011


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