Qu'est-ce qu'une monnaie virtuelle ? |
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Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing) © Fing |
Pour Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet nouvelle génération (FING) et spécialisé dans l'innovation monétaire, il existe trois types de monnaies. "D'abord les monnaies conventionnelles que nous connaissons tous et qui sont gérées par des banques centrales, comme l'euro. Il existe également des monnaies alternatives, comme les Facebook Credits. Dans cette situation c'est une entreprise qui joue le rôle de la banque centrale. Enfin il y a les monnaies complémentaires, virtuelles ou non, dont le territoire est le plus souvent limité géographiquement et qui cherchent à favoriser un certain type d'échange".
On peut également distinguer les monnaies virtuelles selon qu'elles sont centralisées ou non, c'est-à-dire qu'elles disposent ou non d'un organe central régulateur. "A ceci près que même Bitcoin n'est pas complètement décentralisée, puisqu'elle repose sur un algorithme et des règles définis par son inventeur qui jouent le rôle d'organe central, même si la circulation peut sembler libre", poursuit Jean-Michel Cornu.
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Le Lindel Dollar de Second Life permet de s'acheter des biens virtuels pour compléter son environnement © Capture d'écran / Second Life |
L'une des premières monnaies virtuelles à avoir fait parler d'elle est le Linden Dollar (L$), monnaie de l'environnement virtuel Second Life. Comme toute devise, il est possible de l'échanger avec d'autres : dans ce cas un euro équivaut actuellement à environ 324L$. Si le modèle du Linden Dollar est aujourd'hui dépassé, les monnaies virtuelles n'en sont pour autant pas mortes, comme l'illustrent les Facebook Credits. La société californienne a instauré un modèle d'échange basé sur sa devise au sein du réseau social. L'organe régulateur de cette devise est une filiale de Facebook baptisée Facebook Payments.
Ces crédits permettent d'acheter des applications ou des objets virtuels utilisables dans les applications, le plus souvent des jeux. L'intérêt pour Facebook : se positionner en tant qu'intermédiaire entre les éditeurs d'applications et les internautes, de manière à appliquer une commission (30 %).
L'autre modèle dominant, décentralisé, est revendiqué par Bitcoin. Le système fonctionne comme une plate-forme de téléchargement en peer to peer, avec des algorithmes sécurisant et anonymysant les transactions. "L'anonymat est le principal intérêt du Bitcoin. Le modèle repose sur la confiance apportée au système, il est donc limité. D'autres modèles, comme le projet MetaCurrency, proposent de rendre tout visible, notamment les flux qui circulent entre les communautés" tempère Jean-Michel Cornu.
Les utilisateurs de Bitcoins peuvent ainsi s'échanger directement de l'argent. Pour ce faire, seule une installation du logiciel en open source est nécessaire. Ce dernier se comportera alors comme un portefeuille électronique.
Conscient des interrogations politiques que suscitent ces systèmes, Jean-Michel Cornu précise que "les monnaies virtuelles ne dérangent pas en tant que moyens de paiements. Elles devraient en outre se développer grâce à l'essor du mobile". Ce qui inquiète, c'est leur légalité, leur contrôle et leur fiscalisation. "Il est toléré de créer de la masse monétaire dans une moindre mesure, c'est notamment ce qui se passe avec les Smiles. Mais on peut reprocher à une monnaie virtuelle plus répandue que les Smiles de ne pas, par exemple, financer les collectivités" conclut-il.
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Bien que plus indépendantes de l'économie, les monnaies virtuelles peuvent connaître de fluctuations, comme le montre ici le cours du Bitcoin. © Capture d'écran / MT. Gox |
De multiples utilisations concrètes |
Sur Facebook ou Second Life, les achats sont purement virtuels. Ils se focalisaient à l'origine sur les bien virtuels des jeux en ligne, comme ceux édités par Zynga, mais l'utilisation des Facebook Credits tend à se répandre vers de nouveaux services intégrés aux réseaux sociaux.
Ainsi en mars, Warner Bros proposait aux internautes de louer le film "The Dark Knight" en streaming sur Facebook, pour la somme de 30 Facebook Credits, soit 3 dollars. Une opération reprise en août par Miramax.
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Miramax propose de payer la location de films en Facebook Credits sur son application Facebook © Capture d'écran / Miramax |
En avril, Facebook tentait un assaut sur le marché des coupons avec la création de Facebook Deals (à ne pas confondre avec le service de coupons géolocalisés, les Check-In Deals), que les internautes pouvaient acheter notamment avec des Facebook Credits. Pas pour longtemps cependant, car la plateforme de coupons de Facebook a fermé fin août.
Favoriser le développement économique local
Tandis que les Facebook Credits partagent l'objectif commercial des monnaies traditionnelles, des monnaies complémentaires dont l'objectif n'est nullement commercial continuent de faire leur apparition. C'est le cas de l'Euro-RES en Belgique, ou de son équivalent WIR en Suisse. "Ce système permet par exemple à une entreprise de payer une partie d'un achat en euros, et l'autre en Euros-RES. Ainsi, un réseau de partenaires à échelle locale se crée" souligne Jean-Michel Cornu. C'est ici une manière pour les PME d'étendre leur réseau de partenaires et leur portefeuille client. L'objectif de cette monnaie est donc la stimulation de l'économie locale, à laquelle s'ajoutent des offres de crédits sans intérêts. "L'avantage pour les commerçants, c'est d'accéder à une monnaie qui ne se dévalue pas et qui les fidélisent à un système valorisant la proximité. S'ils achètent pour cent euros d'Euros-RES, ils en recevront 110 ".
On notera aussi la création début 2009 des Twollars, monnaie virtuelle utilisable sur Twitter, aussi bien pour récompenser les contributions les plus intéressantes ou pour remercier un ami, que pour faire des dons à des grandes causes ou ONG.
Facebook Credits : un modèle de fidélisation |
En plus de développer des relations avec des éditeurs d'applications, Facebook dispose d'une stratégie de distribution de sa monnaie virtuelle à plusieurs niveaux.
Les achats de Facebook Credits sont possibles directement dans les applications, permettant aux éditeurs de monétiser leurs offres, supposant toutefois une commission de 30 % pour Facebook.
A l'automne 2010, Facebook a mis en place un système de "cartes cadeaux", qui sont en réalité de simples cartes prépayées permettant aux internautes d'acheter des Facebook Credits en magasins aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Il est par exemple possible de s'en procurer chez Wal-Mart ou Best Buy.
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Les Facebook Credits peuvent s'acheter, ou "être gagnés" en participant à des programmes de fidélisation © Capture d'écran / Facebook |
Fin janvier, 150 éditeurs représentant 350 applications utilisaient le système des Facebook Credits, soit 70 % des transactions des biens virtuels sur le réseau social. Ces éditeurs sont pour la plupart à l'origine de jeux sociaux : Zynga, Playfish, CrowdStar, Digital Chocolate, PopCap ou encore Arkadium. Et depuis le 1er juillet, tous les achats de biens virtuels (y compris VOD, musique, articles de presse en ligne...) doivent être payés en Facebook Credits : le réseau social n'accepte plus aucun autre moyen de paiement pour les biens virtuels. Naturellement, quantité d'éditeurs n'ont pas apprécié cette main-mise de Facebook qui étend à tous les biens virtuels sa commission de 30%. En échange, le réseau social promet aux développeurs d'applications de trouver un mode de monétisation plus ludique pour leurs applications. Concrètement, Facebook met à disposition des développeurs un centre de support leur permettant d'obtenir les informations nécessaires à l'intégration des Facebook Credits dans une application.
Une alternative aux programmes de fidélisation classiques ?
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Ifeelgoods propose différents moyens de gagner des Facebook Credits, notamment en consommant chez des e-commerçants affiliés. © Capture d'écran / Ifeelgoods |
Smiles, Maximiles et bien d'autres programmes qui permettent aux consommateurs d'accumuler des points ont démontré leur capacité à engager les internautes auprès des marques.
Le modèle des Facebook Credits n'en serait alors qu'une réinvention purement virtuelle, puisant dans la diversité des usages en ligne, comme le jeu ou la consommation de médias.
Facebook cherche ainsi à se créer un réseau de partenaires susceptibles de souscrire aux Facebook Credits pour fidéliser non seulement les consommateurs auprès de leurs marques, mais également les internautes sur Facebook. C'est ainsi que le modèle d'Ifeelsgoods est né, permettant aux e-commerçants d'offrir des Facebook Credits aux internautes s'ils achètent en ligne, partagent une information ou encore s'abonnent à une newsletter. En janvier, Laredoute.fr fut ainsi le premier e-marchand européen à récompenser les achats en attribuant des crédits Facebook.
Bitcoin : un modèle aujourd'hui très critiqué |
En 2009, un inconnu affichant le nom de Satoshi Nakamoto met son invention en exécution après deux ans de recherches et lance Bitcoin. Basée sur un modèle peer to peer, son utilisation passe par un logiciel libre. A la différence d'autres monnaies virtuelles dont la stabilité repose sur la confiance portée aux autres utilisateurs, le modèle Bitcoin repose sur la confiance dans l'infrastructure du système, à savoir ses méthodes cryptographiques et l'architecture du réseau. Pour qu'une transaction soit valide, elle doit être publique, permettant ainsi d'éviter qu'une personne utilise deux fois le même Bitcoin.
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Chaque transaction est publique, mais anonyme. © Capture d'écran / Bitcoin |
Le Bitcoin est aussi supposé résister à l'inflation, car ne dépendant ni d'un Etat, ni d'une banque centrale. Mais il ressemble cependant à toute monnaie fiduciaire : il est par exemple possible de le convertir en différentes devises sur des places de marchés comme Mt.Gox.
Pourquoi le prix du bitcoin a augmenté et ensuite baissé ? La réponse tient dans une demande qui fut un temps croissante, puis décroissante. Même si le système souhaitait se protéger lui même en limitant le volume en circulation à 21 millions de Bitcoins, son utilisation marginale empêchait que s'instaure une valeur plancher comme dans un système monétaire traditionnel.
Que s'est-il passé ? Les internautes ayant spéculé sur le Bitcoin étaient convaincus que les prix allaient remonter. En août, le marché a connu une forme de krash, et de plus de 13 dollars au 1er août, la valeur du Bitcoin a perdu 6 dollars en une semaine. Les internautes se sont ainsi empressés de reconvertir leur monnaie en devises traditionnelles, ce qui n'a fait qu'accélérer la dévaluation de la devise.
Critiques et limites du système
Enfin, en juin, deux sénateurs démocrates américains ont demandé de mettre fin à ce système en invoquant deux raisons : le Bitcoin faciliterait le blanchiment d'argent, et l'absence de contrôle lié à la décentralisation des flux ne sont pas en mesure de protéger les consommateurs.
Ainsi, Jason Calacanis, cofondateur de Weblog, ancien General Manager de Netscape et ancien collaborateur du fonds Sequoia Capital, a publié en mai un article sur le blog de Launch (un conférence dédiée aux start-up) indiquant qu'il voyait en Bitcoin l'un des plus dangereux projets jamais lancés.
D'une part, il dénonce lui aussi le modèle comme facilitateur du trafic de drogue, en raison de l'intraçabilité des transactions. D'autre part il reste convaincu que les gouvernements vont petit à petit interdire les Bitcoins. Pour lui, le Bitcoin va devenir un objet de spéculation incontrôlable et insécurisé. Un exemple : si un ordinateur tombe en panne et le porte-monnaie électronique avec, l'aventure Bitcoin de leur propriétaire s'arrête là.
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Les risques ne sont pas inévitables. Il y a cinq jours, un botnet a réussi à générer des bitcoins et à les redistribuer. © Capture d'écran / Twitter |
En savoir plus |
Nouvelles monnaies, une alternative sociale ?
L'innovation monétaire a la possibilité de créer de nouveaux modèles sociaux d'échanges, que les monnaies soient virtuelles ou non. Mais en considérant qu'une monnaie traditionnelle puisse être dématérialisée ou puisse inspirer des créations de monnaies virtuelles, "elles peuvent être des moteurs de changements comportementaux" souligne Jean-Michel Cornu.
| A lire ailleurs | |
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La ville brésilienne de Curitiba a connu d'important problèmes urbains en raison de fortes lacunes dans le traitement de ses déchets. "Ainsi en 1971 la ville a instauré un système d'échange qui permettaient aux citoyens d'obtenir des jetons pour prendre les transports en commun s'ils participaient au ramassage des déchets". Au final, tout le monde est gagnant : la ville a réalisé d'importantes économies, s'est assainie, et a pu ainsi investir dans l'amélioration de ses infrastructures.
Le business de Zynga à la loupe
Comment l'éditeur de jeux sociaux gagne-t-il de l'argent ? Pourquoi cherche-t-il à s'émanciper de Facebook ? Le point sur le "Zynga business". Lire
Comment fidéliser sur Facebook ?
Comment animer une page sur le réseau social, fidéliser sa communauté mais également renvoyer ses fans vers son site marchand ? La Redoute et Photobox témoignent. Lire
http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/monnaies-virtuelles/?f_id_newsletter=5711&utm_source=benchmail&utm_medium=ML7&utm_campaign=E10207210&f_u=23951499
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