DE NICOLAS RAULINE
Facebook 2.0 », « une nouvelle dimension »... Dans les travées du Concourse Exhibition Center de San Francisco, jeudi dernier, les commentaires étaient dithyrambiques sur les nouveautés que venait d'annoncer Mark Zuckerberg. Les développeurs présents, à l'imagination pourtant souvent débordante, étaient bluffés par les possibilités offertes par la nouvelle plate-forme de Facebook. Il faut dire que l'idée de base est ambitieuse : faire du réseau social le principal carrefour du Net. Google en est aujourd'hui la porte d'entrée, Facebook veut détrôner le moteur de recherche. Mark Zuckerberg l'a reconnu à demi-mot : le réseau social n'en est encore qu'à ses débuts et n'a exploité pour le moment qu'une infime partie de ses possibilités. Sa mission : « socialiser » le Web et, par extension, toute la société. Concrètement, cela signifie introduire une dose de Facebook dans toutes les activités traditionnelles pour profiter de la puissance du réseau social et de son effet démultiplicateur.
Facebook a commencé par les communications interpersonnelles. Les blogs ? En partie ringardisés par le profil Facebook. Myspace ? Tué par la plate-forme. L'e-mail et la messagerie instantanée ? Facebook s'y attaque depuis plusieurs mois en proposant son propre service et en poussant un nouvel usage des messages entre personnes, qui confond e-mail et messagerie instantanée. Grâce à un partenariat avec Skype, il a même récemment intégré les appels en vidéo. Puis il s'est attaqué aux secteurs « sociaux par nature », selon Mark Zuckerberg, comme le jeu. Et a révolutionné le secteur. Zynga, société dont le développement est entièrement dépendant de Facebook, joue désormais dans la cour des grands, aux côtés des éditeurs traditionnels. La plupart des nouveaux jeux intègrent désormais une partie « sociale », jouable sur les réseaux sociaux. Et ce que Facebook a réussi dans le jeu vidéo, il se sent capable de le reproduire dans d'autres secteurs.
Prochains visés : les médias (musique, cinéma, presse, télévision...), le divertissement et le « lifestyle » (vie pratique, cuisine, loisirs, etc.). C'est à eux que les annonces de jeudi étaient destinées. Désormais, les utilisateurs pourront mentionner automatiquement qu'ils sont en train de lire un article, de regarder une vidéo, d'écouter un album... Et leurs amis pourront faire la même chose. Les industries concernées sont emballées par l'idée et espèrent tirer les bénéfices de ces partenariats, alléchés par l'exemple Zynga, qu'ils soient des acteurs traditionnels ou des « pure players ».
C'est là la grande force de Facebook. Le réseau social a toujours su s'entourer - dès sa création, diront les mauvaises langues accusant Mark Zuckerberg d'avoir copié l'idée du réseau social à des petits camarades de Harvard. Là où Google a lancé Google+ dans son coin, sans en avertir ses futurs partenaires potentiels, Facebook a noué de solides relations avec son écosystème. Ceux qui ont vu le film « The Social Network » se souviendront des « hackatons », ces événements où l'on passe la nuit à écrire des lignes de code, organisés tant pour dénicher les nouveaux talents parmi les développeurs que pour mettre en place de nouveaux services. Ces événements existent toujours, mais Facebook a professionnalisé cette stratégie. Lorsqu'il s'implante dans un nouveau pays, il commence en général par y recruter des commerciaux, puis, si le marché répond, il met en place une équipe chargée des partenariats. C'est ainsi que la France est devenue l'un de ses principaux marchés et que « Les Echos », « Le Monde », « L'Equipe », « Le Journal du Net », Dailymotion, Deezer, TF1 ou l'INA se sont retrouvés partenaires de la nouvelle plate-forme dès son lancement, aux côtés des américains.
Pour sa part, l'industrie musicale espère orienter les utilisateurs de Facebook vers les offres payantes des services de « streaming » Spotify, Deezer et autres Rhapsody : en affichant ce qu'ils écoutent et en partageant cette musique avec 130 personnes (c'est le nombre moyen d'« amis » qu'un utilisateur de Facebook possède), le recrutement de nouveaux clients de ces services pourrait exploser. Chez Spotify, qui a franchi le cap des 2 millions d'utilisateurs payants, on dit ignorer les conséquences d'un tel partenariat, mais le sourire de son cofondateur, Daniel Ek, sur scène avec Mark Zuckerberg jeudi dernier, en disait long sur ses espoirs. La musique pourrait bien devenir l'un des services phares de Facebook, qui frôle désormais les 800 millions d'utilisateurs. Idem pour le service de vidéo Netflix, qui espère doper ses abonnements, et les éditeurs de presse, pour lesquels Facebook n'apporte aujourd'hui qu'une faible audience (de 1 à 2 % du trafic généré pour la plupart des sites de presse, même si la proportion monte jusqu'à 10 % chez certains, comme le Huffington Post).
En devenant le reflet de toute la vie numérique (et même au-delà), Facebook s'assurerait une part dominante des revenus du Net, tout en solidifiant son modèle. Aujourd'hui dépendant de la publicité, le réseau social pourrait récupérer une partie des revenus générés par ses partenaires, selon les accords négociés (ce serait le cas notamment avec les services de « streaming » musical gratuits). Il pourrait aussi faire une entrée remarquée sur le prometteur marché de la publicité vidéo sur Internet. Sans oublier les commissions avantageuses (autour de 30 %) qu'il reçoit sur les microtransactions passées sur sa plate-forme, via les Facebook Credits, sa monnaie virtuelle obligatoire pour tous les développeurs.
Reste la question de la « data ». C'est la principale valeur ajoutée de Facebook, son véritable trésor de guerre et son atout numéro un au moment de convaincre un nouveau partenaire. Un nouvel utilisateur de Deezer aujourd'hui peut, en synchronisant son compte avec celui de Facebook, récupérer toutes les données sur les artistes qu'il a aimés au cours des derniers mois sur Facebook et ainsi gagner du temps au moment de définir ses préférences sur la plate-forme musicale. Et, pour Deezer, ce sont autant de coûts marketing pour connaître ses clients qui disparaissent. Facebook sera-t-il un jour tenté de monnayer ces données ? Rien ne l'en empêcherait, mais il a prouvé jusqu'ici qu'il pouvait faire bien mieux que cela...
Nicolas Rauline est journaliste au service High-Tech Médias des « Echos »
http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201664084095-les-nouvelles-marches-de-l-empire-facebook-225866.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20110929-[s=461370_n=9_c=903_]-409905656@1
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