lundi 19 septembre 2011

La course aux brevets : un remake de la dissuasion nucléaire ? (1ère partie) Par Patrick Barriere, consultant, Calipia

samedi 17 septembre 2011

Nous en avons rendu compte à plusieurs reprises dans le blog Calipia, les brevets sont en train d’acquérir un véritable statut d’armes dans la guerre que se livrent les entreprises américaines. De ce côté-ci de l’Atlantique nous sommes toujours surpris par le poids de cette question des brevets. Les institutions françaises tirent régulièrement le signal d’alarme au sujet du trop faible nombre de brevets déposés par les organisations publiques ou privées françaises (voir à ce propos le lancement récent de France Brevets, un fonds d’investissement créé en mars 2011).

La protection des auteurs et créateurs dans la culture américaine

Aux USA la perception de l’importance des brevets est tout autre. Elle est marquée dans la Constitution Américaine, à l’Article 1, section 8, qui indique que parmi les pouvoirs du Congrès américain figure celui de « … promote the Progress of Science and useful Arts, bysecuring for limited Times to Authors and Inventors the exclusive Rightto their respective Writings and Discoveries ». Cette section figure dans le texte d’origine de la Constitution publiée en 1787 ! Autant dire que cette volonté de protéger le droit des auteurs et inventeurs est ancrée au plus profond de la conscience américaine.

Pour organiser cette mission, les institutions américaines ont créé une agence fédérale, rattachée au Département du Commerce et chargée d’organiser cette protection de la propriété intellectuelle, l’United States Patent and Trademark Office (USPTO). Cette agence a un fonctionnement ancré dans un autre aspect caractéristique des USA, la judiciarisation. Il est effet assez peu difficile d’obtenir un brevet de l’USPTO, qui ne dispose pas de ressources permettant une vérification préalable en profondeur.

Par contre, un brevet accordé n’est pas une garantie. Toute personne ou organisation estimant posséder des droits plus légitimes que ceux revendiqués par le tenant du brevet, ira en justice pour faire valoir ses droits. Ce second aspect, judiciaire, est lui aussi encore un peu difficile à appréhender par ici. Rassurons-nous, la judiciarisation nous guette…

Et le logiciel ?

Le logiciel fut longtemps considéré à l’écart des brevets (il était possible de breveter les lignes de code, mais pas les idées sous-jacentes). Mais dans le courant des années 1990 les choses ont commencé à changer. Et ce sont les cours de justice fédérales américaines qui ont commencé à impulser ces évolutions. Les choses ont commencé à déraper sévèrement, avec des brevets pour à peu près tout et n’importe quoi. L’USPTO s’est alors littéralement écroulée sous la charge, le nombre de demandes de brevets passant de 99.000 en 1990 à plus de 440.000 en 2006. Résultat ? Des brevets accordés sans vérification ni de l’existence d’un précédent, ni du caractère innovant de la chose brevetée.

Ainsi sont apparus des brevets pour des éléments tellement généraux (le clic sur un écran tactile) que beaucoup d’activités pourraient en relever, et des brevets protégeant des éléments qui n’apparaissent en fait que comme des assemblages d’éléments déjà existants, et donc ne relevant aucunement d’une invention. Quelques exemples, en vrac, de brevets revendiqués et dont certains ont donné lieu à des actions en justice :

- Le clic sur un écran tactile
- Un mécanisme d’interaction entre objets (Sun et le mécanisme d’applet Java ont été visé par ce brevet, détenu par Kodak)
- Le format JPEG revendiqué par une société américaine, Forgent.

Face à cette explosion de brevets accordés, les actions en justice intentées ont, elles aussi explosé. Tant et si bien qu’en avril 2007, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu une décision rendant plus difficile l’obtention de brevet pour des inventions combinant des éléments d’inventions préexistantes. L’USPTO a de son côté tenté d’améliorer la qualité de l’évaluation des demandes de brevets qui lui sont soumises.

Une situation qui se dégrade

Cette volonté de la plus haute autorité judiciaire américaine et de l’organe chargé d’administrer les demandes de brevets a-t-elle réussi à faire évoluer positivement les choses ? Malheureusement, au vu de la situation actuelle, on ne peut que constater l’échec de cette évolution. On peut même dire qu’au contraire nous sommes passés à la vitesse supérieure, avec plus 520 000 demandes, 240.000 brevets accordés par l’USPTO en 2010 (+30% par rapport à 2009), et un backlog de plus de 700.000 demandes non encore examinées (voir à ce propos le rapport annuel 2010 de l’USPTO et le message d’introduction de son directeur, David Kappos, qui indique que l’USPTO fait face à 3 challenges : « an antiquated IT system, an increasing inflow of applications, and a large backlog »).

Par ailleurs l’actualité des derniers mois démontre que les brevets se sont transformés en de véritables machines de guerre, offensives et défensives, avec des acteurs de natures diverses : géants de l’IT, sociétés en fin de vie, voire même officines spécialisées. Et cette transformation est visible sous 3 formes principales que j’exprimerai ainsi, continuant à filer la métaphore de la dissuasion nucléaire :
- la guerre froide : elle met au prise les grands acteurs, qui cherchent tous à se doter de l’armement adéquat pour dissuader leurs concurrents de les attaquer.
- les fins de régime : à l’illustration de ce qui s’est passé lors de la disparition de l’Union Soviétique, avec une vente à l’encan des bijoux de famille.
- les mercenaires : qui tentent de profiter des opportunités qui se présentent notamment à cause/grâce aux 2 éléments précédents (guerre froide et fin de régime).


Demain 2e partie : Les trois formes principales de transformation



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Pour plus d’informations, lire le blog de Calipia
http://blog.calipia.com

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