samedi 10 septembre 2011

[MàJ] Tribune : La taxe sur l’achat de services de publicité en ligne, une mauvaise solution à un vrai problème

Le 08 septembre 2011 (16:50) - par Anne Quenedey - Avocat Associée , Arnaud Colson - Avocat

Afin d’apporter un éclairage juridique à tous les grands enjeux liés aux usages d’Internet et des technologies de l’information, LeMagIT et StratégiesCloud ont demandé aux avocats spécialisés de Salans d’intervenir régulièrement dans le cadre de tribunes d’experts.

[Article mise à Jour du 14/01/11]

La taxe sur les services de publicité en ligne aussi appelée "taxe Google" a connu son épilogue. Vivement critiquées par les acteurs de l'économie numérique alors qu'elles devaient s'appliquer au 1er juillet 2011, les dispositions relatives à cette taxe ont été purement et simplement abrogées par l'article 19 de la loi de finances rectificative n°2011-900 du 29 juillet 2011. Considérée par les députés comme une "fausse bonne idée" et un "mauvais signal" donné aux acteurs du numérique, la taxe sur les services de publicité en ligne est ainsi supprimée. [Fin]

[Mise à Jour du 14/01/11]

Comme nous l'avions indiqué dans notre article en date du 14 janvier 2011, l'article 27 de la loi 2010-1657 du 29 décembre 2010 a institué une taxe sur les services de publicité en ligne (aussi appelée « taxe Google ») qui doit, en principe, entrer en application au 1er juillet 2011. Elle est due par tout preneur de services de publicité en ligne (inclus l'achat de mots clés), assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l'article 256 A et établi en France. Elle est assise au taux de 1% sur le montant, hors TVA, des sommes versées en rémunération des prestations de publicité réalisées par les opérateurs de services en ligne, quel que soit leur pays de situation.

A l'origine, compte tenu de la localisation hors de France des principaux vendeurs d'espace publicitaire en ligne tels que Google, cette nouvelle taxe a été créée afin de permettre à l'Etat de percevoir des recettes sur la publicité sur Internet, au même titre que la publicité sur les supports traditionnels. L'instauration de cette taxe a été cependant vivement critiquée par les acteurs de l'économie numérique. Ces critiques ont été entendus par un groupe de députés qui a déposé un amendement le 18 mai 2011 dans le cadre de la discussion actuelle du projet de loi de finances rectificative pour 2011.

Cet amendement rappelle les différentes critiques à l'encontre de la taxe Google et propose la suppression de cette taxe. Parmi les motifs invoqués pour supprimer cette taxe, les députés ont évoqué le risque de délocalisation par bon nombre de preneurs des actes d'achat de services de publicité en ligne à l'étranger, afin de ne pas avoir à payer cette taxe. D'après les députés, ceci engendrerait corrélativement une perte importante de recettes de TVA pour l'Etat français, et donc une perte de recettes plus importantes que ce que rapporterait elle-même la taxe Google. L'Assemblée nationale a adopté cet amendement le 10 juin 2011, ajoutant un article 7 bis au projet de loi de finances rectificative pour 2011 visant à abroger la taxe sur l'achat de publicité en ligne. Anticipant déjà l'éventuelle suppression de la taxe Google, le Conseil national du numérique étudierait en ce moment plusieurs solutions de remplacement permettant d'appréhender les bénéfices de sociétés établies fiscalement à l'étranger mais qui tirent des revenus significatifs de leur activité internet en France. En tout état de cause, le texte actuel de l'article 7 bis n'est pas définitif. Il est actuellement examiné au Sénat (à l'origine de cette taxe), puis le cas échéant sera discuté en commission mixte paritaire. A cet égard, un amendement visant à rétablir la taxe vient d'être déposé par le sénateur Philippe Marini le 15 juin 2011. Il conviendra donc d'attendre l'adoption définitive du projet de loi de finances rectificative pour 2011 avant d'en savoir plus sur le devenir de la taxe Google. [Fin]

[lire ci dessous l'intégrale de l'article orginal]
Dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances pour 2011, le Sénat avait adopté, sur proposition du rapporteur général de la Commission des Finances, Monsieur Philippe Marini, un amendement aux fins d’établir une taxation sur les achats de publicité en ligne, aussi appelée « taxe Google ». Alors que l’instauration de cette nouvelle taxe est souhaitée par les pouvoirs publics, elle suscite de vives réactions auprès des acteurs de l’économie numérique.
La genèse de cette taxe remonte aux travaux de la mission « Création et Internet » qui ont donné lieu à la publication du rapport Zelnic en janvier 2010. Soulignant le rôle des pouvoirs publics dans la régulation de l’économie numérique, le rapport Zelnic avait proposé « la création d’un prélèvement obligatoire touchant les revenus publicitaires en ligne ». La Commission des Finances a poursuivi les travaux du rapport Zelnic et a, en particulier, organisé le 7 avril 2010 une table ronde sur l’impact du développement du commerce électronique sur les finances de l’Etat, en présence notamment de Messieurs Yohan Ruso, directeur général d’eBay France, Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles de Google France, Yoram Elkaim, directeur juridique de Google France et Madame Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale.
Deux raisons ont été avancées par les pouvoirs publics et l’administration fiscale pour motiver l’instauration de la « taxe Google ».
Ainsi que l’a expliqué Madame Marie-Christine Lepetit lors de son intervention du 7 avril , la première raison tient à la question de la localisation des revenus. S’agissant de flux dématérialisés, il est en effet possible de localiser un revenu dans des Etats pratiquant des politiques de « compétitivité fiscale », alors même que la consommation et le chiffre d’affaires sont réalisés dans un autre. Ainsi, les bénéfices réalisés par les opérateurs étrangers de publicité en ligne ne sont pas « appréhendés » par l’administration fiscale française alors même qu’une partie de leur chiffre d’affaires peut être réalisé en France. A titre d’illustration, on notera qu’eBay est situé en Suisse, Amazon au Luxembourg, Expedia et Google en Irlande.

La deuxième raison tient au principe de neutralité. La taxation de la publicité est une pratique de droit commun en France . Depuis le début des années 80, diverses taxes sur les recettes de publicité audiovisuelles, sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (opérateurs de téléphonie et fournisseurs d’accès à internet) et sur certaines dépenses de publicité (imprimés publicitaires, annonces et insertions dans les journaux gratuits) ont été mises en place. En pointillé derrière la question d’un prélèvement sur les espaces publicitaires virtuels, c’est la question de la régulation du marché de la publicité en général qui est posée. Selon l’avis donné par la Commission des Finances, « rien ne justifie, a priori, que la publicité sur l’internet échappe par nature à un prélèvement supporté par la publicité dans les médias traditionnels ». Il s’agit donc de remédier à une distorsion de concurrence sur le marché de la publicité, qui ne doit pas être biaisé en faveur d’un type de support.
Au cours des travaux préparatoires, plusieurs pistes de taxation des recettes publicitaires sur internet ont été étudiées.
Une première option développée dans le rapport Zelnic consistait à « créer une taxe prenant pour assiette les revenus publicitaires des sociétés établies dans l’Union européenne, générés par l’utilisation de leurs services en ligne depuis la France ». L’idée s’inspirait des règles de territorialité s’appliquant à la taxe sur les conventions d’assurance, qui frappe toute convention couvrant un risque localisé en France, indépendamment du pays d’établissement de l’entreprise d’assurance et du pays de résidence de l’assuré. Il eut été toutefois difficile, s’agissant d’un dispositif de ce type, de contrôler le paiement de cette taxe car cette dernière n‘aurait pu reposer que sur un régime déclaratif, chaque opérateur de service en ligne établissant la localisation de ses utilisateurs par l’intermédiaire de leur adresse IP (si tant est que l’on puisse admettre que l’adresse IP détermine le pays de « résidence » de l’utilisateur, ce qui est loin d’être évident). Cette initiative n’aurait pu, de surcroît, aboutir que si elle avait fait l’objet d’un consensus au niveau européen. Si cette option n’a pas été retenue, c’est précisément parce que se posait le problème du « ciblage » du redevable . Taxer un opérateur internet dont la fiscalité peut relever d’un autre Etat n’est pas aisé et, dans ces situations, l’appréciation des probabilités de recouvrement est un facteur déterminant. Il apparaissait plus simple de collecter un impôt chez des annonceurs français, qu’un impôt sur le chiffre d’affaires d’un opérateur situé à l’étranger.
La seconde option consistait à taxer directement le chiffre d’affaires chez l’acheteur de la prestation de publicité, sur le modèle de la taxe sur certaines dépenses de publicité (imprimés publicitaires, annonces et insertions dans les journaux gratuits). Plutôt que de tenter de fiscaliser les bénéfices, il apparaissait plus efficace, conformément à la logique des flux, d’instaurer un recouvrement de la taxe directement sur le preneur des services de publicité en ligne (les annonceurs) dès lors qu’il est établi en France, et non sur le vendeur des services de publicité.
Le régime, qui vient d’être adopté par le Sénat, est directement inspiré de la deuxième option. Il est en effet proposé d’introduire une taxe au taux de 1% due par tout preneur, établi en France, de services de publicité en ligne (inclus l’achat de mots clés), qui serait assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des sommes versées en rémunération des prestations de publicité réalisées par les opérateurs de services en ligne, quel que soit leur pays de situation. Cette taxe devrait uniquement s’appliquer aux transactions réalisées dans le cadre de relations « BtoB », les particuliers qui achètent des services de publicité en ligne ne seraient pas concernés. S’agissant des modalités d’application, les annonceurs déclareraient et acquitteraient la taxe, au titre de l’année précédente, lors du dépôt de la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée du mois de mars ou du premier trimestre de l’année civile. La taxe serait recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions que la taxe sur la valeur ajoutée. Ce mécanisme est critiquable à plusieurs égards.

Tout d’abord, ce qui ressort principalement de cette taxe est qu’elle risque de fragiliser économiquement les annonceurs établis en France qui ne peuvent délocaliser leurs dépenses publicitaires à l’étranger et, « comble du paradoxe, de favoriser les entreprises étrangères que les pouvoirs publics cherchent à faire payer » . Or, d’après le SRI, « le média internet connaît une sortie de crise plus compliquée que les autres médias et de nombreux acteurs font reposer leur modèle économique sur la publicité en ligne. Taxer cette dernière pourrait donc affaiblir les acteurs nationaux en pleine recherche de croissance – annonceurs, agences et supports – au bénéfice de géants internationaux qui ne subiraient pas cette taxe ». En outre, Google met en avant que si une certaine concurrence existe entre les différents formats publicitaires, la publicité sur Internet a permis à des acteurs de l’économie numérique qui n’existaient pas, d’accéder à la publicité et de se développer. Cette taxe freinerait leur croissance et, corrélativement, favorisait l’expansion des grands groupes.
Par ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure un annonceur établi en France qui achète des prestations de publicité à un opérateur de services en ligne en vue de développer sa marque dans un autre pays que la France sera oui ou non redevable de cette taxe. Dans l’hypothèse où le client final serait établi ailleurs qu’en France, cette règle reviendrait en effet à imposer le chiffre d’affaires affecté à une activité réalisée hors de France.

Enfin, il conviendra de clarifier la notion d’annonceur « établi en France » et ce, tout particulièrement s’agissant des acteurs de l’économie numérique. En effet, si on se réfère aux règles applicables en matière de TVA, il faut rappeler que l’administration fiscale considère que d’une façon générale, « un établissement stable est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possible la fourniture par cet établissement stable d’un service ou l’utilisation par cet établissement des services qui lui sont rendus » . Si on se réfère aux règles applicables en matière de taxe sur la publicité télévisée (lesquelles renvoient au régime de la TVA avec quelques ajustements liés au secteur de la publicité), l’administration fiscale a également précisé que « seuls les éditeurs établis en France sont assujettis à la taxe, c’est-à-dire ceux qui ont en France le siège de leur activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu. Il convient pour apprécier la localisation du siège de l’activité ou l’existence d’un établissement stable de se référer aux règles applicables en matière de TVA. […] Il y a lieu de considérer comme établissement stable tout centre d’activité où la personne effectue de manière régulière des opérations imposables. En revanche, la détention d’un simple émetteur sur le territoire français est insuffisante pour caractériser la présence d’un établissement stable ». On peut supposer que l’administration fiscale reprendra une définition de ce type s’agissant de la taxe sur la publicité en ligne. En pratique, cela signifie que les acteurs de l’économie numérique qui ont des clients en France sans y être établis ne paieront pas la nouvelle taxe. A l’inverse, il n’est pas totalement clair de savoir si certains opérateurs français réalisant des ventes hors de France ne seraient pas redevables de la taxe sur les dépenses de publicité en ligne afférentes à leur clientèle localisée hors de France.
En tout état de cause, ces incertitudes justifient pleinement l’amendement du 15 décembre 2010 visant à reporter l’entrée en vigueur de cette nouvelle taxe au 1er juillet 2011.


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