Un été de tempêtes ! Le mois dernier, il fallait vraiment se réfugier loin du monde civilisé pour ne pas sentir sur ses épaules le souffle des événements. Et ce grand vent, comme l’ouragan Irene, a balayé en priorité le territoire américain. C’est là que se désagrège l’ancien monde, mais aussi que se prépare le nouveau. Au moment où Standard & Poor’s dégradait la note des Etats-Unis, précipitant les marchés financiers dans les profondeurs, la Californie s’activait à préparer le futur. Le drôle de chassé-croisé qui a vu, presque dans un même mouvement, Google acheter les mobiles de Motorola et Hewlett-Packard annoncer sa sortie de la micro-informatique en a fourni l’illustration parfaite. L’un, conquérant, achète de nouvelles armes pour disputer à Apple le leadership mondial de l’informatique du futur, quand l’autre prend acte de dix ans d’erreurs stratégiques.
Et l’annonce du départ de Steve Jobs a fourni l’occasion de constater la puissance d’un groupe devenu en moins de cinq ans l’épicentre de la high-tech mondiale. Car c’est bien lui qui a ouvert la boîte de Pandore en 2007 avec le lancement de l’iPhone. Au moment même où le monde sombrait dans la plus grave crise financière de l’après-guerre, il inaugurait un nouveau cycle d’innovation qui n’épargnera aucun secteur de l’économie, aucune entreprise, et devrait nous occuper pour les trente prochaines années.
Trente ans, c’est le temps exact qu’aura duré l’ère du PC. Le micro-ordinateur qui trône encore sur votre bureau (et sur lequel j’écris cet article) a vu le jour le 12 août 1981, avec la commercialisation du premier IBM PC. Il a apporté la puissance informatique sur tous les bureaux des entreprises, puis dans les foyers, et a fait la fortune des maîtres de cette nouvelle plate-forme : Intel, l’électronicien, et Microsoft, l’éditeur de Windows.
L’intelligence est dans le réseau
Mais la généralisation de l’Internet et la poursuite de la miniaturisation de l’électronique sont en train de faire exploser cette domination. L’intelligence n’est plus personnelle, sur son bureau, mais collective, dans le réseau. Dès lors, ce n’est plus la machine qui importe, mais le fait d’être connecté ou pas. Avec deux conséquences majeures. D’une part, l’explosion des modes d’accès. Après l’iPhone, la tablette iPad a accéléré le déclin des ventes de PC, surtout en Occident. Et, d’autre part, la virtualisation de l’informatique. Puisque l’intelligence est dans le réseau et qu’il faut y avoir accès de n’importe où, le logiciel doit s’y trouver aussi. On n’achète plus un traitement de texte, un tableur, un logiciel de comptabilité, on accède à une application, comme on le fait déjà avec le courrier électronique.
Le software n’était déjà pas un produit très concret, il devient encore plus discret, puisque transparent à l’utilisateur. Discret mais omniprésent. « Le software est en train de manger le monde », expliquait récemment Marc Andreessen, célèbre fondateur de Netscape, investisseur prolixe (Facebook, Twitter, Skype, Zynga...) et membre du conseil d’administration de HP. De l’automobile à la sidérurgie, en passant par la grande distribution et la banque, pas un secteur ne sera épargné par cette invasion silencieuse qui mange la valeur et la marge. Le bien physique ne disparaît pas mais sa fabrication se banalise (et peut donc être sous-traitée), et la différenciation se fait par le design et le logiciel. Ce qu’Apple a réussi à faire avec l’iPhone, un autre pourra le faire un jour avec la voiture électrique.
La dernière caractéristique de cette nouvelle révolution est qu’elle s’appuie sur le grand public, quand celle des PC était partie des entreprises. Nos grandes et riches corporations ont bien dix ans de retard sur le gamin de quartier qui pianote sur son « smartphone ». Les réseaux sociaux sont arrivés au début des années 2000 et connectent maintenant près de 1 milliard d’individus, mais ils sont quasiment absents des entreprises. La tablette y rentre tout juste.
Une intégration envahissante
L’enjeu de la bataille est donc celui du contrôle des usages grand public, porteurs de chiffre d’affaires et de marge. Et, aujourd’hui, seules deux entreprises sont en lice : Apple et Google. En dépit des apparences, leurs stratégies sont similaires : enfermer l’utilisateur dans son univers et se rémunérer avec les services fournis. Et, à ce petit jeu, Google est tout aussi ambitieux, puisqu’il envahit tout le spectre, du logiciel d’exploitation au traitement de texte en passant par la distribution de vidéos ou les réseaux sociaux. Une nouvelle forme d’intégration verticale, du système d’exploitation au commerce de contenu, voire au magasin, encore plus poussée que par le passé. « Même Microsoft n’avait pas la Carte Bleue de ses clients ! », s’exclame l’investisseur Benoît Flamant (IT Asset Management), auteur d’une note remarquable sur les nouvelles ruptures technologiques.
L’emprise d’Apple et de Google sur cette nouvelle informatique est telle qu’ils asphyxient progressivement tous les autres prétendants à des plates-formes alternatives, comme Nokia ou RIM (BlackBerry), ou les réduisent au rang de sous-traitants, comme le fait Google en licenciant son système Android aux asiatiques HTC ou Samsung. C’est bien pour les protéger, et non pour les concurrencer, que Google s’est résolu à acheter Motorola pour plus de 12 milliards de dollars. L’insécurité juridique de sa plate-forme en fait une proie facile pour Apple ou d’autres « anciens », comme Nokia ou Microsoft. Samsung est ainsi bloqué dans la commercialisation de ses tablettes en Europe et HTC doit payer quelques dollars à Microsoft à chaque fois qu’il vend un téléphone équipé de l’Android de Google pour avoir la paix ! Pour protéger son écosystème et instaurer avec Apple une forme d’équilibre de la terreur, les 17.000 brevets de Motorola sont bienvenus. Un duopole d’un nouveau genre est ainsi en train de se mettre doucement en place et sera bien difficile à déloger.
Face à ce nouveau paysage, HP voit s’effondrer sa stratégie de grand généraliste de l’informatique, du plus professionnel au plus grand public. Faute d’avoir investi à temps dans le logiciel, lui préférant l’aventure des PC, le prestigieux groupe californien ne peut que sonner la retraite de l’activité grand public. Un tiers de son chiffre d’affaires va quitter le groupe avec les PC, et les spéculations s’intensifient sur son activité d’imprimantes, très lucrative (27 % des profits, 20 % des ventes) mais sans croissance, et dont la place dans la nouvelle révolution informatique n’est pas évidente. Sera-t-elle la prochaine victime de la tablette ?
La firme se replie donc sur l’informatique professionnelle. Mais le terrain est déjà occupé par deux stars, IBM et Oracle, qui s’activent depuis dix ans à inventer l’infrastructure informatique de demain. La lutte sera donc rude, d’autant que ses cartes sont faibles, tant dans les services que les logiciels. HP est donc condamné à poursuivre les acquisitions, avec tous les risques que comportent de telles manoeuvres, d’autant qu’il ne dispose pas des moyens d’un Microsoft pour rebondir et que sa culture est affaiblie par des années de mauvaise gouvernance.
Le vent n’a donc pas fini de souffler sur l’informatique californienne, preuve tout de même de son éternelle jeunesse. Aucun autre lieu au monde ne combine aussi harmonieusement recherche, goût du risque, capitaux abondants et culture du contrat. A rappeler à tous ceux que fascine et paralyse l’ascension chinoise : l’Amérique parle encore au futur.
http://blogs.lesechos.fr/philippe-escande/comment-apple-et-google-enterrent-le-pc-a6549.html??xtor=EPR-1500-[la_une_soir]-20110907-[s=461370_n=3_c=312_]-361033@1
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