A lire sur: http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/technologie-1/d/ordinateur-et-thermodynamique-la-limite-de-landauer-est-reelle_37890/#xtor=EPR-23-[HEBDO]-20120406-[ACTU-ordinateur_et_thermodynamique_:_la_limite_de_landauer_est_reelle]
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
Manipuler des
bits d’informations demande de l’énergie. Un groupe de physiciens
français et allemands vient de vérifier que le minimum d’énergie
nécessaire pour effacer un bit est bien donné par la formule de Rolf
Landauer. L’information est physique et il faut en tenir compte pour
concevoir des ordinateurs.
C’est en grande partie grâce aux travaux d’Alan Turing,
dont on fête cette année le centenaire, que l’informatique théorique a
pu naître au lendemain de la seconde guerre mondiale. À cette époque, si
les lois physiques de l’atome
et du noyau ont été décryptées, celles de la vie et de l’esprit ne le
sont pas. Bien des chercheurs se tournent donc vers l’élucidation des
bases physiques de l’hérédité et de la conscience.
Comme les cellules et le cerveau
sont des systèmes physiques et chimiques complexes, les physiciens et
les mathématiciens d’alors vont employer des considérations de thermodynamique statistique pour tenter d’en percer les secrets. C’est ce que fera Schrödinger dans son célèbre ouvrage Qu’est ce que la vie ?, qui influencera plusieurs des pionniers de la biologie moléculaire, dont le découvreur de la structure de l’ADN, Francis Crick.
Or, depuis la découverte, par Boltzmann (l’un des
principaux fondateurs de la thermodynamique statistique) et d’autres
chercheurs, d’un rapport entre la notion d’entropie
et de désordre d’un système physique, on a commencé à réfléchir sur des
liens entre la thermodynamique et l’ordre, c'est-à-dire l’information.
On peut citer les travaux de Leó Szilárd sur le démon de Maxwell et ceux de Léon Brillouin.
Le développement des premiers ordinateurs, que Turing et Von Neumann ont présenté comme une clé fondamentale pour percer les secrets du cerveau et de l’intelligence artificielle, conduira aussi à des réflexions sur les rapports entre thermodynamique et information.
Les ordinateurs sont bien sûr des machines physiques
et il faut tenir compte des coûts énergétiques engendrés par des
calculs, l'enregistrement et la lecture des bits d’information ainsi que
des dissipations d’énergie sous forme de chaleur. Dans un contexte où
les liens entre thermodynamique
et information étaient l’objet de bien des interrogations, Rolf
Landauer, chez IBM, a cherché à déterminer la quantité minimale
d’énergie nécessaire pour manipuler un unique bit d’information dans un
système physique donné.
Le physicien Rolf Landauer (1927–1999) est célèbre pour avoir dit : « L'information est physique ». © AIP Emilio Segrè Visual Archives
Une limite thermodynamique pour les nanosciences
En 1961, il obtient comme réponse kT x Ln(2), où k
est la constante de Boltzmann et T la température du système physique
considéré. À température ambiante, cette énergie vaut environ 10-21 joule. C'est le principe de Landauer.
Il
aura fallu presque cinquante ans pour que l’on prouve que Landauer
avait raison. C’est en effet ce qu'est parvenu à faire un groupe de
chercheurs du laboratoire de physique de l'école normale supérieure de
Lyon en collaboration avec un groupe allemand de l'université de
Augsburg, dont les explications sont publiées dans Nature.
Pour
cela, les chercheurs se sont contentés de réaliser une expérience sur
un système physique simple, car les lois de la thermodynamique
s’appliquent à tous les systèmes physiques sans distinction (en principe
du moins). Ils ont manipulé une bille en silice de 2 microns plongée dans un liquide à l’aide d’une « pince optique ». Des faisceaux lasers
pouvaient piéger la bille dans deux positions d’équilibre. En faisant
s’écouler ce liquide, il était possible de faire passer la bille de
l’une des positions vers l’autre, à volonté. Ces passages étaient donc
l’équivalent de l’inscription ou de l’effacement d’un bit d’information
sous forme de 1 ou de 0. On a pu mesurer une énergie minimale nécessaire
à l'opération et elle s’est révélée en plein accord avec la formule de
Landauer.
Si les ordinateurs actuels ne sont pas encore
concernés par la limite de Landauer, ils pourraient le devenir dans le
futur. Plus généralement, des nanomachines manipulant de l'information doivent elles aussi être confrontées à la même limite. Quelle que soit la nanotechnologie du futur, elle devra donc en tenir compte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire