A lire sur: http://www.decideur-public.info/article-la-gare-un-futur-temple-de-la-revolution-numerique-au-service-de-la-mobilite-108302987.html
Julien Damon, professeur associé à Sciences Po Paris (master d’urbanisme)
Jeudi 19 juillet 2012
Julien Damon, professeur associé à Sciences Po Paris (master d’urbanisme)
A
l’occasion des vacances d’été, la SNCF accueille vingt millions de
voyageurs. Avant de monter à bord des trains, les clients passeront
d’abord par les gares. Des lieux en passe de devenir des plates-formes
de services en tout genre permettant à l’homo mobilis
pressé et hyper-connecté d’y optimiser le temps passé.
1/
Dans une campagne de publicité
qui vante les services proposés à ses clients, la SNCF met en scène
une tomate dans le cadre de son offre « Paniers Fraîcheur » en gare.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Julien Damon :
Une
longue et inévitable évolution du métier de la SNCF dans le sens de
l’ouverture vers d’autres mondes. On le voit à travers les campagnes de
publicité : de l’ancienne « l’homme moderne roule à
plus de 100 km/h » message lié au moyen de locomotion et qui exprime
technicité et rapidité, on est passé à celui que vous évoquez « en jus,
en morceaux, en rondelles et maintenant en gare » qui
ne fait pas référence au moyen de transport utilisé mais à un lieu, à
savoir la gare, devenu au fil du temps central dans le paysage urbain
français. A l’heure actuelle, la SNCF ne se définit
d’ailleurs pas comme un transporteur mais comme un « groupe de
services de mobilité ». Une notion infiniment plus large que le simple
transport d’une personne d’un point A à un point B.
Cette campagne a été réalisée par TBWA
Paris pour le compte de la SNCF
2/ Qu’est-ce qui a motivé une telle
transformation ?
J.D. :
Louis Armand,
ancien dirigeant visionnaire de la SNCF dans les années 50, avait
déclaré que « le chemin de fer sera le moyen de transport du XXI siècle,
s'il parvient à survivre au XXe siècle. ». La Société
Nationale a eu peur de la concurrence de l’avion dans les années
60/70 puis s’est inquiétée de la libéralisation des services
ferroviaires voulue par Bruxelles. Elle s’est donc transformée pour
ne pas disparaître et elle continue d’ailleurs de le faire. Un peu à
l’image de ce qui s’est passé pour IBM dans les années 90. Le fer de
lance de cette transformation a d’abord été la grande
vitesse avec le TGV qui concentre environ 90% des investissements
dans le domaine du matériel mais ne représente pourtant que 10% des
déplacements nationaux. Ensuite est venu se construire petit
à petit un monde de services autour du TGV. Et comme les sociétés
modernes dans lesquelles nous vivons poussent de plus en plus à la
mobilité des personnes et pas seulement au sens du voyage
longue distance ou du trajet domicile/travail, la SNCF s’adapte
aujourd’hui à l’évolution des modes de vie en ouvrant de nouveaux
horizons pour ses gares.
3/ Mais les gares sont fixes par
définition…
J.D. :
Certes mais
elles concentrent des flux phénoménaux de personnes. Un demi-million
de voyageurs passent chaque jour à la Gare du Nord, 20 millions sont
accueillis dans les gares en France à l’occasion des
vacances d’été et sur une année ce sont quelques 3 milliards de
clients qui les fréquentent. Ce sont donc des lieux d’optimisation
commerciale très importants pour la SNCF et ses
concessionnaires. La SNCF a d’ailleurs fait de la gestion et du
développement des gares une priorité en créant, il y trois ans, une
cinquième branche d’activité dénommée « Gares & Connexions
».
4/ Comment compte-t-elle y parvenir
?
J.D. :
C’est une
œuvre de longue haleine car les gares en France ont deux siècles
d’existence et étaient surtout vu comme un temple de l’industrie
ferroviaire et non des centres commerciaux contrairement à ce qui
se passe au Japon. En outre, leur gestion n’avait rien de très
dynamique. La création de « Gares & Connexions » est venue
bouleverser ce paysage. Désormais, la SNCF veut donner à ses clients,
et pas seulement aux voyageurs, ce qui n’est pas forcément la même
chose, la possibilité d’optimiser le temps passé en gare et que ce
moment soit le plus agréable possible. De l’ouverture de
centres de télétravail à la fourniture de panier de légumes et
fruits frais en passant par l’ouverture de crèches ou l’implantation de
nouveau partenaire tels que Monoprix, les expérimentations
sont nombreuses et doivent aboutir à proposer toute une palette de
services innovants.
5/ Du télétravail dans une gare,
n’est-ce pas un peu trop éloigné des métiers de la SCNF ?
J.D. :
Pas vraiment
si l’on envisage à moyen ou long terme une diminution de la mobilité
en raison d’un engorgement insupportable des réseaux routiers et des
transports publics. Les gens se déplaceraient moins ce
qui dynamiserait le télétravail. Dans un tel contexte offrir des
services bureaux à la gare permettrait de compenser d’éventuelles pertes
de revenus.
6/ Quelles sont les difficultés de
ce genre de mue ?
J.D. :
Tout d’abord
il faudra assigner des objectifs à ces nouvelles activités et
déterminer quelle sera leur part dans le chiffre d’affaires total de la
SNCF par rapport aux activités ferroviaires. Ensuite, il faut
que le niveau des investissements pour rénover les gares soit à la
hauteur des ambitions. Le projet du Grand Paris qui comporte la
construction d’un réseau de gares nouvelles et la modernisation
d’un certain nombre de gares existantes va d’ailleurs dans ce sens.
Un autre grand problème à traiter tient à la diversité des populations
qui fréquentent les gares, du cadre supérieur au SDF, et
à leur spécialisation qui n’existe pas pour le moment, contrairement
à ce qui se fait dans le domaine du voyage avec la première classe, les
billets Prems etc. Sans oublier, avec l’ouverture du
rail à la concurrence européenne, la diversité de clientèle à
l’échelle européenne. Enfin, il faut que la gare devienne un temple de
la révolution numérique afin de gérer au mieux les flux de
voyageurs et l’information en interconnectant un ensemble de
systèmes d’information.
7/ La gare intelligente
?
J.D. :
Oui. Les gares
sont de véritables « sacs à puces » connectées, bardées de capteurs
en tout genre. Côté voyageurs, nous sommes tous reliés à travers nos
smartphones à une masse considérable d’intelligence. Les
deux mondes seront inévitablement reliés. Une multitude
d’applications, permettant notamment l’optimisation du temps de trajet,
avant, pendant et après celui-ci, devraient voir le jour. J’en veux
pour preuve les applications pour smartphones primées lors d’un
récent concours organisé sur Internet par SNCF Transilien et ayant pour
objectif de faciliter les déplacements en transports en
commun en Île-de-France. L’une de ces applications est justement
destinée à indiquer l’affluence à bord des trains et à permettre aux
voyageurs de sélectionner les moins chargés. Sans oublier que
cette gare intelligente devra aussi être une gare à énergie
positive. Nul doute que la transformation des gares n’est pas prête de
s’arrêter.
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