A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0202207221430-le-livre-numerique-n-est-pas-celui-que-vous-croyez-352791.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20120814-[s=461370_n=9_c=907_]-409905656@1
DE FRÉDÉRIC MÉRIOT
L'e-book, menace réelle ou illusoire pour le
livre papier, suscite de nombreux commentaires. Pourtant, peu décryptent
toute l'étendue de la transformation numérique en cours, profonde,
mais... invisible. Elle reste cachée sous la forme rassurante et
familière du livre imprimé. Mais elle peut déséquilibrer toute
l'organisation de la chaîne du livre.
Du
libraire à l'imprimeur, un nouveau marché émerge, tiré par la demande
(le lecteur, ses choix) et non plus seulement poussé par l'offre
(l'éditeur, ses propositions). Les libraires Internet sont au contact
intime de leurs clients-lecteurs, exposent un fonds immense et détectent
les tendances. A leur service, des entrepôts-grossistes de fichiers
informatiques leur évitent des stocks coûteux de livres à faible
rotation. Entre les deux, des « fabricants numériques » : formateurs de
fichiers et imprimeurs à la demande sont capables de tirer vite et court
pour répondre à toute commande au plus juste, quel que soit le format
souhaité (e-book ou imprimé). Plus de « retours » à gérer, peu ou pas de
stocks à financer, plus de pilon : tout livre imprimé est, par
construction, livré et vendu au lecteur. Un vrai rêve d'éditeur !
Autoédition,
courts tirages, ouvrages spécialisés, réimpressions, titres épuisés...
L'ensemble de cette nouvelle économie du livre tirée par l'aval, en
croissance de près de 20 % par an, propulse pourtant d'abord de nouveaux
acteurs, dotés de nouveaux outils. Qu'ils se nomment Google, Apple,
Microsoft ou Amazon, ils sont mus par des objectifs nouveaux :
fréquentation des sites, parts de marché, publicité, abonnements, vente
de tablettes... Et souvent le livre lui-même n'est qu'un produit
d'appel.
Y a-t-il vraiment une menace à
accueillir ces nouveaux alliés pour le livre et sa diffusion ? Ces
nouveaux débouchés créent certes de nombreux nouveaux titres papier.
Mais, en dispersant les ventes, ils font baisser les tirages moyens qui
alimentaient les imprimeurs et les grossistes-distributeurs. Et les
nouveaux entrants captent l'essentiel de la croissance : derrière
quelques spectaculaires mais rares ultra-best-sellers mondiaux, le
marché traditionnel reste en effet marqué depuis plusieurs années par
une léthargie inquiétante. Sans aucune modification du livre perceptible
par le lecteur, ces nouveaux marchés, certes porteurs de croissance,
sont aussi porteurs de forts déséquilibres pour l'organisation
traditionnelle des métiers du livre.
Faute
d'un effort d'innovation important sur les solutions numériques, de
diffusion et de logistique, les métiers du livre verront ce marché leur
échapper. De nouveaux intervenants vont prospérer sur ces segments en
croissance, pour s'emparer graduellement d'une partie plus importante
des étapes de la chaîne du livre. Aux Etats-Unis, la guerre de positions
est déjà engagée entre les éditeurs et des libraires Internet. Ces
derniers équipent leurs entrepôts d'outils d'impression numérique,
cherchent à mettre la main sur les fichiers, tentent aussi des
incursions vers le coeur de métier de l'éditeur en négociant des droits
directement avec des auteurs... Les escarmouches se multiplient, sur la
détention des fichiers, sur les titres orphelins, sur le marché des
livres d'occasion, sur les droits de fabrication des titres épuisés ou
en réimpression. La bataille des frontières et des rôles démarre, pour
une nouvelle répartition de la valeur du livre.
Ces
changements du livre imprimé sont d'autant plus rapides et puissants
qu'ils sont invisibles pour les lecteurs. C'est le moment de mettre les
technologies numériques au service du renouveau des métiers
traditionnels du livre. Seule cette alliance assurera au livre imprimé
le maintien de sa modernité et sa prééminence.
Frédéric Mériot est dirigeant d'entreprises
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