mardi 14 mai 2013

Le CSA et l’amende, les nouveaux masques de la Hadopi

A lire sur:  http://www.pcinpact.com/news/79661-le-csa-et-l-amende-nouveaux-masques-hadopi.htm

60 euros, pour plus et plus vite

On connaît maintenant tous les détails sur le futur de la Hadopi selon Pierre Lescure. Les données confirment ce que nous avions avancé en octobre 2012, notamment : la peine de suspension de l'accès au Web est abandonnée, et vive l’amende (presque) automatisée !
texel hadopi
Locaux de la Hadopi, Rue du Texel.

C'est le rapport de la mission Lescure qui l'affirme tout de go, à l'aide des études sécrétées Rue du Texel : Hadopi est belle et bien dissuasive chez les abonnés ayants reçu un avertissement ! Mieux, « le téléchargement de pair à pair enregistre un recul difficilement contestable » avance-t-il, avant de gâcher un peu la fête : « le recul du téléchargement de pair à pair avait commencé avant l’entrée en vigueur de la réponse graduée ». Il apparaît en effet qu' « il a également été constaté dans des pays où il n’existe aucun dispositif similaire à la réponse graduée et aux lois Hadopi ». Et une partie des internautes se serait même détournée du téléchargement de pair à pair, pour d’autres formes de consommation illicite ne faisant l’objet d’aucun contrôle...

Impossible de supprimer la réponse graduée

Malgré cette réussite très contrastée, impossible selon Lescure de supprimer la réponse graduée : sa suppression serait « illogique », « alors qu’elle fonctionne depuis moins de trois ans qu’elle a d’ores et déjà produit, sur le périmètre qu’elle couvre, des effets certes modestes mais non négligeables ». Autre chose, une suppression pure et simple donnerait un mauvais signal à l’abonné, le laissant croire que le P2P ne serait plus éligible à la sanction.

Le rapport concède ensuite que la négligence caractérisée est une « notion problématique », mais un retour au droit commun aurait des inconvénients supérieurs aux avantages. Un risque de sanction dès la première infraction, une procédure « traumatisante » (perquisition, etc.). Lescure ne dit pas cependant que ce genre d’affaires est rare et que jamais un tribunal n’a sanctionné un internaute de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende...

Il avance surtout que ces procédures seraient coûteuses pour les ayants droit. « Les ayants droit seraient contraints, pour faire valoir leurs droits, d’engager des procédures longues et complexes, liées à la nécessité d’imputer les faits de téléchargement ou de mise à disposition à la personne poursuivie ». Pire, « une grande partie de ces procédures risquerait d’aboutir à un classement sans suite ou à une condamnation symbolique, compte tenu des réticence des parquets et des tribunaux à condamner les « pirates ordinaires » aux lourdes peines prévues par le code de la propriété intellectuelle. »  Bref dans un cas, l’abonné risque de lourdes peines, dans l’autre un classement sans suite ou une condamnation symbolique…

La réponse graduée, un cliquet anti-retour

Lescure craint encore un engorgement des parquets et des tribunaux. « En effet, les ayants droit disposent désormais d’outils de détection automatisée dont la mise en œuvre a été autorisée par la CNIL, et seraient en mesure d’adresser chaque jour des dizaines de milliers de signalements aux parquets. Les parquets devraient donc procéder à un tri délicat : comment distinguer, parmi des dizaines de milliers de signalements reçus quotidiennement, comprenant simplement le nom de l’oeuvre et l’adresse IP à partir de laquelle elle a été téléchargée, les actes justifiant l’enclenchement de poursuites pénales ? Par ailleurs, les parquets seraient conduits, pour identifier les abonnés à partir des adresses IP, à adresser des réquisitions aux FAI qui génèreraient des frais de justice élevés (8,50 € par identification). »

En somme, l’écosystème Hadopi a donné naissance à un dispositif indécrottable, un cliquet anti-retour rendant impossible un retour au droit commun, n’en déplaise au député Patrick Bloche

La négligence caractérisée, sanction d'une obligation de moyen, non de résultat

La mission recommande par conséquent des aménagements très importants. Toutefois, recourir au juge pénal pour sanctionner « une part importante de la population ne semble pas adapté ». Pas plus qu’une autorité administrative dédiée à cet objectif. « Il s’agit donc d’alléger le dispositif répressif afin de le rendre plus acceptable, tout en conservant un caractère dissuasif indispensable à l’effectivité du droit d’auteur et à la protection des droits des créateurs ».

Première des mesures, Lescure veut inscrire dans la loi le fait que la négligence caractérisée sanctionne une obligation de moyen, non une obligation de résultat. « L’autorité compétente devrait tenir compte des diligences mises en oeuvre par l’abonné pour éviter l’utilisation de son accès à Internet à des fins de téléchargement illicite. Ainsi, aucune sanction ne devrait être prononcée en cas d’utilisation frauduleuse par un tiers ou en cas de non respect des consignes d’utilisation édictées par le titulaire de l’accès. »  Un exemple ? Une société, un restaurant, une bibliothèque ouvre un hotspot et exige dans ses conditions générales d’utilisation qu’ils s’abstiennent de télécharger illégalement. Ce simple message « devrait être considéré comme une cause d’exonération empêchant toute sanction ». Même situation pour l’employeur qui a édité une charte informatique interdisant le téléchargement illégal.

lescure acte

Concentrer l'attention des parquets sur les contrefaçons avec "enrichissement personnel ou collectif" 

Deuxième mesure, en attendant de clarifier l’articulation entre délit de contrefaçon et négligence caractérisée, Lescure voudrait que soit demandé aux Parquets « de n’engager des poursuites pour contrefaçon que lorsqu’il existe des indices sérieux et concordants tendant à prouver l’existence d’un enrichissement personnel ou collectif, dans le cadre d’un réseau contrefaisant ». Cela permettrait de ne traiter via la réponse graduée que les infractions les moins graves (contrefaçon non lucrative). On voit mal pour notre part comment à terme on pourra assurer juridiquement cette distinction dans le code de la propriété littéraire et artistique. La mission Lescure pense qu’on pourrait déjà confier la patate chaude au CSPLA.

Pas d'amende automatique, pas de contractualisation

De même, la mission Lescure ne veut pas d’amende automatique pour remplacer la réponse graduée. « Dans un système d’amendes automatiques, chaque téléchargement constaté donnerait lieu à une sanction distincte », ce qui additionnerait la douloureuse. « Toute possibilité d’individualisation de la sanction en fonction du comportement de l’internaute serait écartée. »

Elle ne veut pas davantage de contractualisation de la réponse graduée entre les FAI et les ayants droit, à l’instar du système américain. Cela supposerait que les ayants droit soient maîtres d’un fichier des infractions. Le principe serait même « probablement » contraire au droit communautaire et au droit constitutionnel et sans doute trop strictement encadré.

Un étage d'avertissement, pas de sanction pour les mêmes oeuvres

La mission propose d’inscrire dans la loi le troisième étage d’avertissement supplémentaire qui a été mis en place par Mireille Imbert-Quaretta (trois avertissements dans les 24 mois -> sanction).

De plus, Lescure propose de paralyser la réponse graduée quand les avertissements successifs concernent les mêmes œuvres. Cela répond typiquement au cas du premier abonné condamné, où l’abonné mettait en partage un titre de Rhianna plus d’une centaine de fois, son logiciel P2P se lançant à chaque démarrage…

Suppression de la suspension, la suppression d'une peine impossible 

Le rapport juge ensuite la suspension sévère. Surtout il affirme ce que nous avons maintes fois souligné : la suspension est une peine impossible, une peine morte. La suspension ne vise en effet pas l’abonnement. L’article L335-7-1 nous dit que la suspension vise seulement « l'accès à un service de communication au public en ligne ». Si un juge devait décider de la suspension des « services de communication au public en ligne », le FAI aurait l’obligation de suspendre l’accès au Web, mais non aux correspondances privées qui sont hors du champ. Les messageries privées de Twitter, de Facebook, de Skype, de Yahoo, des mails Orange, Free ou SFR, etc. devraient ainsi être conservées intactes. De même, devrait être protégé l’accès aux SMAD, comme M6 Replay, ou à la téléphonie et la télévision.

Bref, la suspension a toujours été un fantasme. Mais un fantasme bien pratique puisque c’est sa possibilité juridique qui rendait incontournable l’intervention du juge. En faisant sauter la suspension, Lescure fait sauter la case du juge et la réponse graduée peut être sanctionnée d’une amende administrative.

La contravention transformée en amende administrative

La contravention est morte, remplacée par l’amende administrative, comme le voulait Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la CPD ou les ayants droit. Pour Lescure, le choix de l’amende administrative est du pain béni. Cela permettrait en effet « d’adoucir la procédure de sanction mise en oeuvre au terme de la phase pédagogique. Cela éviterait le recours au tribunal de police (selon la procédure contradictoire ordinaire ou selon la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale), ainsi que la convocation préalable de la personne poursuivie au commissariat. Cela empêcherait les ayants droit de se constituer partie civile afin de réclamer à la personne poursuivie des dommages-intérêts, en plus de l’amende. Cela permettrait aussi que la sanction prononcée ne soit pas inscrite au casier judiciaire de la personne sanctionnée. »

Une amende administrative permettrait surtout de laisser l’autorité maîtresse de sa politique pénale. Augmenter ou non le nombre d’avertissements en fonction des œuvres, sanctionner directement les cas de récidives, etc.

De fortes garanties des droits de la défense seraient assurées : « infraction clairement définie par la loi et le règlement », sanction motivée, procédure contradictoire, droit à être entendu, « le service chargé des poursuites (y compris l’envoi des avertissements) et celui compétent pour prononcer les sanctions seraient totalement séparés », une mesure classique en droit de la sanction… En outre, la sanction « pourrait faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. » Enfin, les sanctions prononcées seraient publiées sous une forme anonymisée. 

Une amende de 60 euros (puis plus)

L’amende serait non plus de 1 500 euros maximum mais de 60 euros. « Un montant de 60 € correspondrait à un an d’abonnement à un service de streaming musical ou à une douzaine de films en VàD à l’acte ». Par contre, en cas de récidive après une première sanction, finie la réponse graduée, et bonjour la sanction aggravée ! 

La Hadopi est morte, vive le CSA ! 

C’est le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui hériterait des compétences de la Hadopi. Un CSA qui deviendrait  au passage l’autorité chargée d’assurer la régulation de l’offre culturelle numérique. Lescure ne veut pas conserver une autorité administrative indépendante simplement dédiée à la réponse graduée. La mort de la Hadopi aurait peut-être aussi une vertu sacrificielle pour ceux qui se souviennent encore comment le PS était vent debout contre ce texte (et la réponse graduée)…

Lescure propose un simple transfert : « Si cette proposition était retenue, les services de l’Hadopi chargés de mettre en oeuvre la réponse graduée (recueil des signalements, identification des abonnés, envoi des recommandations) seraient transférés au CSA. (…) Les fonctions d’envoi des avertissements préalables et de mise en oeuvre des sanctions administratives devront être nettement séparées ». On retrouverait ainsi l’actuelle commission de protection des droits qui s’occuperait de la phase pédagogique quand le collège du CSA aurait le pouvoir de sanction.

Une réponse graduée menacée avant ou après les futures présidentielles

Selon les résultats escomptés, serait envisagé « un démantèlement de la réponse graduée d’ici trois à cinq ans », si l’efficacité se confirme sur l’offre légale et par la baisse des infractions constatées. En somme, un moyen pour repousser la question de la fin de la réponse graduée à la prochaine présidentielle. Pas sûr cependant que les électeurs mordent une nouvelle fois à l'hameçon... 

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