A lire sur: http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/chimie-1/d/comme-suse-un-nano-objet-atome-par-atome_44394/#xtor=EPR-23-[HEBDO]-20130208-[ACTU-comme_s_use_un_nano-objet___atome_par_atome___]
Par Jacques Haas, Futura-Sciences
On sait déjà concevoir des nanomachines,
mais elles ne sont pas fiables. Elles s'usent trop vite, et on a du mal
à comprendre pourquoi... L'enjeu est majeur, et des chercheurs
américains ont avancé d'un pas en isolant un mécanisme d’usure dont on
soupçonnait l'existence : par décrochement d’atomes un à un.
L’usure des objets est partout dans la vie quotidienne : les couteaux qui s’émoussent, le moteur de voiture qui tourne moins bien qu’à l’achat, les vêtements qui s’éliment avec les ans… Comme tous les objets de la vie courante, les nanomatériaux
s’usent. Mais pour eux, le problème est différent : ils sont constitués
d’un faible nombre d’atomes. Il suffit qu’ils en perdent un peu pour
qu’ils risquent d’être incapables d’assurer leur tâche. En effet, leurs
fonctionnalités dépendent fortement et de leur structure de surface de
leur forme, parfois bien plus que pour les objets macroscopiques.
Jusqu’à présent, l’usure était un phénomène bien
mieux connu pour les objets macroscopiques comme les moteurs que pour
les nano-objets. Des chercheurs de la School of Engineering and Applied Science de l’université de Pennsylvanie apportent aujourd’hui un élément de réponse dans la revue Nature Nanotechnology. Le doctorant Tevis Jacobs, qui a participé aux travaux, explique dans un communiqué que « les nanotechnologies
permettent de fabriquer des éléments pour des machines de plus en plus
petites. Leur interface de contact s’use très vite, parfois au bout de
quelques centaines de cycles, alors qu’elles devraient en supporter des
milliers de milliards ». La compréhension de leur usure est donc de
la première importance. Les chercheurs ont réussi à montrer les effets
d’un phénomène d’usure supposé entre deux matériaux : le transfert
d’atomes, un à un, d’une surface à une autre.
Cette vue d’artiste représente la pointe de silicium d’un microscope à force atomique glissant sur une surface de diamant, en perdant des atomes au passage. À droite, la pointe observée au microscope électronique en transmission. On distingue les alignements d’atomes. © Felice Macera, université de Pennsylvanie
L’attrition atomique, responsable de la nano-usure ?
À l’échelle du nanomètre (nm, 10-9
m), l’usure est principalement comprise au travers de deux phénomènes.
Le premier, la rupture, se manifeste lors de la fracture de gros
ensembles, comme la mine de crayon qui casse en plein dessin. Le second,
la déformation plastique, se manifeste quand un objet change de forme
ou est comprimé. Une lame de couteau émoussée ou une pointe de
fourchette pliée en sont de bons exemples. Sur des objets
macroscopiques, ces deux formes d’usure affectent des millions d’atomes à
la fois, alors que dans le nanomonde, les choses se passent de manière
plus graduelle. Tout l’enjeu des chercheurs est de comprendre ce
phénomène progressif pour concevoir de meilleurs nano-objets.
Des chercheurs avaient déjà postulé l’existence d’un
mécanisme d’usure, appelé attrition atomique (ou perte d’atomes), dans
lequel les atomes d’une surface sont transférés à l’autre surface par un
jeu de créations et de destructions de liaisons chimiques. Ils avaient
fait glisser deux surfaces l’une contre l’autre. Cette expérience
reposait sur l’usage d’un microscope à force atomique (AFM),
dont la pointe frottait sur une surface. Néanmoins, les chercheurs
n’arrivaient pas à distinguer les rôles de la déformation plastique, de
la rupture ou de l’attrition atomique dans l’arrachage des atomes.
L’innovation des chercheurs de l’université de
Pennsylvanie réside dans la manière de mener l’expérience. Ils ont placé
l’AFM dans l’enceinte d’un microscope électronique en transmission (MET),
qui sert de caméra pour générer des images des surfaces de frottement,
en l’occurrence du silicium sur du diamant. De cette manière, les
chercheurs pouvaient mesurer à la fois la distance parcourue par la
pointe de silicium de l’AFM, la force de contact et le volume d’atomes
retirés à chaque glissement. Cette technique leur permet de distinguer
des volumes d’environ 25 nm3, soit un millier d’atomes environ. C'est « un millier de fois plus précis que n’importe quelle autre méthode de détection de l’usure »,
précise Tevis Jacobs. Suffisant pour permettre aux chercheurs de
conclure que l’usure de la pointe de silicium sur le diamant est bien
due à l’attrition atomique : des atomes de silicium se lient au diamant
et y restent.
La cinétique chimique pour expliquer l’usure des nano-objets
« Si c’est bien l’attrition atomique qui est à
l’œuvre, alors la vitesse à laquelle les liaisons sont formées et la
dépendance à la force par unité de surface sont des choses bien connues.
Cela implique que nous pouvons appliquer la cinétique chimique, ou
théorie des vitesses de réaction, au processus d’usure », explique Robert Carpick, le professeur de mécanique appliquée et d’ingénierie qui a dirigé les recherches.
Pour l’instant, les travaux des chercheurs ne
s’appliquent que dans le cas du contact entre le silicium et le diamant,
mais pourraient être employés de manière plus générale. Néanmoins, le
choix de ces matériaux ne doit rien au hasard : le silicium comme le
diamant sont tous deux très présents dans les nano-objets et dans les
outils nécessaires pour les fabriquer. Les nanodiamants
sont utilisés en médecine, et le silicium est un composant
indispensable des transistors omniprésents dans les circuits
électroniques.
Pour Tevis Jacobs, l’objectif à long terme est très clair. «
Nous voulons arriver au point où, en sachant quels matériaux sont en
contact, la durée du contact et la force appliquée, nous pourrons dire
quels atomes sont enlevés et à quelle vitesse. » Ces calculs
pourraient améliorer significativement la conception d’objets comme des
nanomoteurs, ainsi que leurs fonctionnalités. « Avec une
compréhension fondamentale de l’usure, on peut concevoir des surfaces au
mieux et choisir les matériaux pour réaliser des objets plus durables », enchérit Robert Carpick. Le tout en permettant des coûts de fabrication moindres.
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