Pour garantir l'effet de surprise lors du lancement de produits, Steve Jobs n'hésite pas à intimider salariés, fournisseurs et clients
La « Worldwide loyalty team », également surnommée « Apple Gestapo », jamais entendu parler ? Il y a deux ans, le site « Gizmodo » publiait le témoignage d'un ex-salarié de la firme de Cupertino, visiblement choqué. Il racontait comment Steve Jobs traque les collaborateurs bavards, grâce à des « taupes » rapportant directement auprès de lui. Lorsque l'un de ces commandos suspecte une indiscrétion, les salariés sont soumis à une perquisition en règle. La direction saisit tous les téléphones, exige les codes d'accès pour vérifier les communications, met les ordinateurs en veille et interdit aux salariés de communiquer avec l'extérieur. Non sans avoir signé un énième « non-disclosure agreement » pour que personne ne sache comment Apple lave son linge sale. Quand l'auteur des fuites est identifié, il est questionné par les responsables de la sécurité, tenu à l'écart jusqu'à la fin de la journée, puis escorté vers la sortie. Viré, bien évidemment -et menacé de poursuites s'il s'exprimait en public.
C'est la face cachée de la légende Apple. Steve Jobs a monté une machine marketing extraordinaire avec des règles implacables. Ses méthodes de gestion sont basées sur le pouvoir absolu du chef, une discipline militaire et le culte du secret. Ce cocktail permet d'éviter les fuites et garantit l'effet de surprise le jour où l'oracle au col roulé noir monte sur scène, au cours d'un événement Apple (la firme ne participe jamais aux grands messes de l'informatique ou des télécoms), et dévoile une invention forcément sublime et révolutionnaire.
Résultat, Steve Jobs est autant adulé par les clients « applemaniaques » qu'il est craint par ceux qui dépendent de sa pomme. Salariés, fournisseurs, clients (médias, agences Web, opérateurs télécoms...), tous ont dû promettre-jurer de garder le silence sur tout ce que leur dit Cupertino. Les opérateurs télécoms, qui testent toujours les nouveaux mobiles avant de passer commande ne dérogent pas à la règle. Une fois, l'émissaire qui a apporté l'iPhone au laboratoire avait menotté la mallette à son poignet, comme dans un film d'espionnage ! Parfois, les téléphones arrivent éclatés, sous forme de composants électroniques dans une valisette afin de ne pas en révéler le design. S'ils ont une forme de téléphone, gare au piège : c'est sans doute un prototype unique, qui permettra de savoir immédiatement d'où vient l'image subitement apparue sur des blogs Internet. Au demeurant, ces leurres ont une double vertu : trahir les traîtres, et attiser la curiosité du public...
Quant aux développeurs privilégiés qui ont eu le droit de tester leurs applications avant la sortie du premier iPad, ils ont dû prouver qu'ils travaillaient volets fermés et que le futur objet culte était attaché physiquement, afin de ne pas sortir du labo. La confiance règne.
Un dictateur, Jobs ? Plutôt un angoissé qui a viscéralement besoin de tout contrôler. Les communiqués de presse, les publicités, les mensurations et l'emplacement de la table sur laquelle les détaillants agréés doivent poser les iPads (et surtout aucun produit concurrent) : les détails remontent jusqu'au siège, probablement jusqu'à lui. Quand on vend du luxe, l'expérience doit être parfaite. Mais la paranoïa de Steve Jobs a des raisons plus personnelles : en 1985, il s'est fait mettre à la porte de sa propre entreprise par le dirigeant qu'il avait recruté, John Sculley. Depuis, il n'a quasiment plus compté que sur lui-même. Et cela lui a réussi.
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