C'était il y a presque un an. A la surprise générale, Google
profitait de la publication de ses résultats du premier trimestre 2011
pour annoncer une réorganisation de sa direction : Eric Schmidt quittait
son poste de directeur général pour redonner les commandes à Larry
Page. Le cofondateur du moteur de recherche, alors dans l'ombre,
revenait pour lui réinsuffler un « esprit start-up ».
Son
mot d'ordre ? Arrêter de se disperser dans des services peu rentables
pour faire passer la stratégie de « socialisation » au premier plan. En
clair, pour éviter de se faire dépasser par Facebook, Google devait se
positionner sur le social, les relations interpersonnelles, la
recommandation, nouvelles portes d'entrée du Web. D'abord orientée vers
le coeur de métier de Google, la recherche - avec un système astucieux
de résultats recommandés, donnant la priorité aux sites plébiscités par
les utilisateurs, et notamment vos amis -, la stratégie est allée encore
plus loin depuis le lancement de Google+, qui devait être la pierre
angulaire de cette transformation.
Pour
mener à bien cette stratégie, Google dispose d'atouts. En premier lieu
sa position sur le « data », devenu la matière première de ce Web
nouvelle génération. La donnée, c'est justement le principal actif de
Google. Les informations contenues dans les requêtes, les habitudes
de consommation des utilisateurs de YouTube, mais aussi les informations
contenues dans les e-mails des utilisateurs de Gmail, le comportement
des internautes vis-à-vis de la publicité... Le géant du Web possède une
source inépuisable de données. Il ne restait qu'à l'organiser pour
pouvoir exploiter le principal levier de croissance des prochaines
années sur Internet : la publicité ciblée.
Cette
organisation devait se faire via Chrome et Google+. Le premier est une
réussite : le navigateur a réussi à capter une part de marché de plus de
15 % en quelques mois à peine, grâce à des efforts de communication et
de marketing sans précédent pour Google. Mais il est plus facile de
faire changer les habitudes des internautes sur les navigateurs que sur
les réseaux sociaux, où Facebook a acquis un avantage comparatif
décisif : pourquoi changer de réseau si tous ses amis y sont également
et si on y a stocké quasiment toute sa vie en ligne ?
Google
y a pourtant cru. Mais, en couplant les profils Google+ aux comptes
Gmail, le géant a semblé vouloir forcer la main des internautes. Et la
promotion à outrance du nouveau réseau social a conduit la société à
commettre ses premières grandes erreurs, comme celle révélée par le
« Wall Street Journal » : Google avait mis au point un système
permettant de traquer les faits et gestes des utilisateurs de Safari, le
navigateur d'Apple, qui équipe les iPhone et iPad. Une pratique
involontaire, jure la société, mais qui a sérieusement entaché son
slogan « Don't be evil » (ne fais pas le mal).
Pour
l'heure, rien n'y fait : les internautes continuent de délaisser
Google+, qui, en moyenne, retient ses utilisateurs... trois minutes par
mois, quand Facebook attire les siens plus de six heures et demie, en
moyenne. Pour combler son retard, Google a donc décidé de mobiliser
toutes ses forces : Gmail, Youtube, lui aussi très chronophage chez les
internautes, et, bien sûr son moteur de recherche, qui demeure malgré
tout la principale porte d'entrée du Web.
Sa
nouvelle « politique de vie privée » répond à la même logique. Car, en
adoptant une charte unique pour la plupart de ses sites, visant à
simplifier les règles d'utilisation de ses services, Google s'est
surtout offert la possibilité d'utiliser les informations données par
l'internaute pour lui proposer de la publicité ciblée. Exemple : il peut
désormais se baser sur vos requêtes sur le moteur de recherche, ou sur
les mots-clefs contenus dans des e-mails pour vous proposer de la
publicité correspondant à vos goûts sur YouTube.
Au
risque de froisser pas mal de monde... Google s'est ainsi attiré les
foudres des autorités de protection de la vie privée. La CNIL a demandé
un report - non accepté -de ces nouvelles règles. Et Bruxelles a ajouté
le dossier à l'imposante pile consacrée au moteur de recherche.
La
fébrilité dont fait preuve Google l'expose à une autre menace : celle
de se couper d'un écosystème dont il a certes alimenté la croissance,
mais dont il est aussi dépendant. Dans sa conquête obsessionnelle du
« data », Google a commencé à crypter les requêtes des internautes à
partir du moment où ceux-ci sont connectés à leur identifiant Gmail. Du
coup, les éditeurs de sites, habitués à consulter des statistiques très
précises sur l'origine de leur trafic, ont vu disparaître du jour au
lendemain des informations précieuses. « Anecdotique »,
assure-t-on chez Google. Sauf que, selon une étude AT Internet publiée
la semaine dernière, la part des requêtes indéterminées représente déjà
plus de 20 % du total aux Etats-Unis. Et, lors de la mise en oeuvre en
France il y a deux semaines, elles sont passées en deux jours de 3,2 % à
12,3 %.
Un vrai coup dur pour des
sociétés qui se sont positionnées sur l'exploitation anonyme du
« data ». D'autant que le secteur s'irrite de plus en plus des décisions
unilatérales de Google : comme le nouvel algorithme Panda, qui a fait
chuter le trafic de plusieurs comparateurs de prix, ou ses agissements
supposés réduisant la visibilité de ses concurrents, qu'ils soient des
moteurs de shopping, des sites de recommandation de commerces ou des
comparateurs de billets d'avion. Domaines sur lesquels Google a
récemment pris position. Et les projets de Google risquent encore d'en
hérisser plus d'un. Le moteur de recherche subira prochainement un
lifting lui permettant de proposer des réponses directement sur ses
pages, sans diriger vers un lien extérieur. Près de 20 % des résultats
du moteur seraient concernés, privant d'autant de trafic des millions de
sites Web. L'objectif est de capter de l'audience. Un nouveau pari de
Google pour « simplifier » la vie des internautes. Le pari de trop ?
Nicolas Rauline est journaliste au sein du service High-Tech Médias des « Echos ».Source: http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201956820706-google-et-la-vie-privee-des-internautes-303569.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20120320-[s=461370_n=9_c=903_]-409905656@1
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