http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/informatique/d/la-revolution-des-ordinateurs-quantiques-est-elle-imminente_47030/#xtor=EPR-17-[QUOTIDIENNE]-20130615-[ACTU-la_revolution_des_ordinateurs_quantiques_est-elle_imminente__]
Le 14 juin 2013 à 09h27
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
La société D-Wave Systems vient de fournir à la Nasa et à Google un calculateur quantique de 512 qubits
alors que les laboratoires de par le monde n'arrivent à travailler
qu'avec une dizaine de qubits. Est-ce le début de la révolution des ordinateurs quantiques ?
Surprise de taille, le mois dernier, quand il a été
révélé qu’un calculateur quantique utilisant 512 qubits était en cours
d’installation dans un laboratoire hébergé par le fameux Ames Research Center de la Nasa. Acquis par Google pour équiper son Quantum Artificial Intelligence Lab, il sera utilisé en partenariat avec la Nasa et la USRA (Universities Space Research Association).
Le calculateur en question n’est autre que D-Wave Two, commercialisé depuis peu par la société canadienne D-Wave Systems. Comme son prédécesseur, ce calculateur est censé utiliser l’intrication quantique pour mettre en œuvre un algorithme quantique de recuit simulé avec des qubits. Il utiliserait des circuits supraconducteurs, non pas pour effectuer des calculs avec des portes logiques (comme c’est d’ordinaire le cas avec des ordinateurs, y compris quantiques), mais afin d’utiliser une technique dite de calcul quantique adiabatique.
Une vidéo au sujet de l'ordinateur quantique et des recherches menées dans ce domaine en 2009 au CEA. © universcienceTV, YouTube
Une vidéo au sujet de l'ordinateur quantique et des recherches menées dans ce domaine en 2009 au CEA. © universcienceTV, YouTube
Des calculateurs quantiques pour l'apprentissage automatique
Les algorithmes de recuit simulé permettent de
résoudre des problèmes d’optimisation, auxquels la Nasa est confrontée
depuis longtemps. C’est pourquoi elle utilise des supercalculateurs comme ceux qui se sont succédé dans son célèbre département, connu sous le nom de Nasa Advanced Supercomputing (NAS) Facility.
En optant pour le D-Wave Two, la Nasa confirme qu’elle espère bien explorer les possibilités des calculateurs quantiques
pour résoudre plus efficacement qu’avec des ordinateurs classiques
divers problèmes, tels que le trafic aérien, la planification de
missions ou d’autres relevant de la robotique et de la recherche d’exoplanètes. Pour sa part, Google compte sur le potentiel des calculateurs quantiques pour optimiser la recherche dans des bases de données, la reconnaissance vocale, mais surtout l'apprentissage automatique (machine learning en anglais).
La
société canadienne D-Wave Systems commercialise des calculateurs
quantiques (photo ci-dessus). Deux générations de ces calculateurs
utilisant un processeur avec des circuits quantiques supraconducteurs se sont succédé. © D-Wave Systems
Rappelons que l’apprentissage automatique est l’un des champs d'étude de l'intelligence artificielle
concerné par le développement, l'analyse et la mise en œuvre de
méthodes automatisables qui permettent à une machine d'évoluer grâce à
un processus d'apprentissage. On ne peut s’empêcher de penser que la
fondation du Quantum Artificial Intelligence Lab par Google n’est pas sans relation avec son recrutement récent de Ray Kurzweil, véritable gourou du transhumanisme.
L’obstacle de la décohérence quantique
Comme l’expliquait un précédent article de
Futura-Sciences consacré à l’achat du D-Wave Two par Google, la
communauté scientifique fait preuve d’un grand scepticisme vis-à-vis
de ce calculateur. D’abord parce que la société D-Wave Systems n’a pas
vraiment fourni de preuves qu’elle était parvenue à intriquer plus de
100 qubits pour faire des calculs quantiques. Mais surtout parce que
cette performance semble impossible ou presque à beaucoup, à cause du
fameux obstacle de la décohérence.
Serge
Haroche est devenu mondialement célèbre en 1996, grâce à une
publication portant sur les expériences effectuées avec ses collègues
sur le mécanisme de la décohérence. Ce mécanisme avait été proposé il y a
des années par le physicien Wojciech Zurek pour résoudre le célèbre
paradoxe du chat de Schrödinger. Il s’agit d’un problème fondamental de l’interprétation de la mécanique quantique, auquel Zurek a beaucoup réfléchi avec le grand physicien John Wheeler. © Collège de France
Le problème de la décohérence peut se comparer à la
construction d’un château de cartes : chaque carte représente un qubit.
Pour bâtir un processeur, il faut fabriquer un château, le plus grand
possible si l’on veut un gros processeur. La décohérence, c’est un coup
de vent qui vient abattre l’édifice. Pour parer à ce problème, il faut
isoler notre château de son environnement, et en particulier de tout
souffle de vent. Imaginons donc que ce château de cartes soit un
calculateur très puissant, mais qu’il s’écroulerait si souvent et si
vite qu’aucun calcul pratique n’aurait le temps d’être réalisé.
Voilà où on en est : ça pourrait marcher, mais on
n’a toujours pas réussi à colmater toutes les fuites qui font passer les
courants d’air.
Quoique si : on a montré qu’un château avec une ou deux cartes pouvait
rester debout assez longtemps. Ce n’est pas encore Versailles, mais
après tout, bien peu à l’époque du Roi Soleil
pensaient qu’ils pourraient un jour admirer l’édifice achevé. Mais
alors, pourquoi un processeur classique, dont le fonctionnement qui, au
fond, repose aussi sur les lois de la mécanique quantique marche-t-il si bien ? Disons qu’on met de la colle entre chaque carte, ce qui aide quand souffle la tempête…
Une intelligence artificielle quantique problématique
Résumons la chose, calcul long et complexe veut dire
: gros château de cartes bien isolé de son environnement pour avoir le
temps de mener à bien le calcul. Isoler, c’est par exemple supprimer
toutes les vibrations mécaniques, mais surtout refroidir le processeur à
une température proche du zéro absolu. C'est la raison pour laquelle beaucoup ne croient pas que l’on puisse expliquer la conscience associée au cerveau humain, en avançant l’hypothèse que celui-ci serait en fait un ordinateur quantique, ou qui opérerait selon les idées de Roger Penrose. Selon l'opinion générale, il serait impossible de construire de gros châteaux quantiques bien isolés.
Laurent
Saminadayar travaille sur des problèmes de cohérence quantique en
physique mésoscopique à l'Institut Néel. © Institut Néel, 2012
Alors, Google et la Nasa sont-ils malgré tout sur la route qui mènera dans peu de temps à la création du Skynet de Terminator avec D-Wave Two, en dépit du mur de la décohérence ?
Pour tenter de le savoir Futura-Sciences a demandé à Laurent Saminadayar ce qu'il pensait des affirmations de D-Wave Systems concernant ses calculateurs quantiques. Professeur à l’université Joseph Fourier, membre de l’Institut universitaire de France, le chercheur est membre de l’équipe Cohérence quantique du célèbre Institut Néel de Grenoble. Retrouvez son interview, dans l’article qui fera suite à celui-ci.
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