jeudi 27 juin 2013

Les entreprises, en route pour les nouveaux quartiers d’Internet

A lire sur:  http://business.lesechos.fr/directions-generales/numerique/les-entreprises-en-route-pour-les-nouveaux-quartiers-d-internet-7366.php

Par Florian Dèbes, journaliste | 19/06/2013


L’Internet des objets et les nouvelles technologies web (cloud computing, vidéo à la demande) accélèrent le changement d’échelle d’Internet. Après avoir été le problème des fournisseurs d’accès, l’IPv6 arrive à l’agenda des entreprises. Sous peine, de perdre de vue une partie grandissante des internautes.

Internet IPv6, entreprises, protocole, serveurs
Crédits photo : shutterstock.com
Au tour des entreprises de préparer leur migration vers le nouveau standard de l'Internet, le protocole IPv6.
Internet grossit, plus de sites, plus d’ordinateurs connectés sur le réseau mondial… et maintenant les objets ! Dans l’industrie, les machines-outils communiquent de plus en plus entre elles. Bientôt, les villes seront « intelligentes » et les maisons enverront des rapports d’activité sur les smartphones des habitants, par exemple pour signaler qu’un radiateur est en surchauffe pendant leur absence. En somme, des perspectives business en terraoctets. « Entre les applications domotiques et le pilotage de chaîne de montage, l’Internet des objets va imprégner l’industrie », constatent Sébastien Ropartz et Eric Delgove, associés du cabinet d’audits technologiques Deloitte. Ils invitent les entreprises à se préparer pour ce changement d’échelle de l’Internet.

Pour communiquer avec le reste du monde, un ordinateur ou un serveur a besoin d’une adresse IP unique. Initialement, les infrastructures Internet étaient conçues pour accueillir 4,3 milliards de machines, connectées grâce au protocole IPv4. Les dernières adresses IPv4 ont été attribuées en 2011, Internet est maintenant surpeuplé. Le problème de pénurie d’adresses IP devrait être résolu avec l’adoption d’un nouveau protocole, IPv6, capable d’accueillir des millions de milliards d’appareils connectés. La migration entre les deux protocoles est en cours. Pour l’instant, ils cohabitent mais la qualité du réseau s’en trouve dégradé. À titre de comparaison, c’est comme si une administration décidait que ses échanges avec le public se feraient dorénavant en anglais et abandonnait progressivement le français. La conversation est encore possible avec tous, il suffit de traduire. Mais cette conversion ralentit les échanges.

Protocole IPv6 et IPv4 - Internet
Les adresse IPv6 sont plus longues que les adresses IPv4. Le protocole IPv6 permet d'accueillir des millions de milliards d'ordinateurs contre seulement 4,3 milliards pour l'IPv4.

Le risque pour l'entreprise : perdre 10 % des internautes

Google estime que 10 % de la planète se connectera en IPv6 d’ici la fin 2014. Particulièrement dans les pays émergents. Un site qui rame. Des services en ligne indisponibles. Les internautes connectés à Internet via IPv6 rencontreront souvent ce genre de désagrément lorsqu’ils surferont sur un site généré en IPv4. « Pour les entreprises, assurer leur présence en ligne en IPv6 devient de plus en plus urgent », prévient Faycal Hadj, architecte solutions chez le spécialiste des réseaux Cisco. Il poursuit : « Si les entreprises ne s’adaptent pas, les internautes/consommateurs qui sont connectés avant les autres en IPv6 risquent de se retrouver sur leurs sites face à des problèmes d’affichage comme, par exemple, un carré gris en plein milieu de la Google Map ».

En France, 5,25 % des internautes se connectent en IPv6, d’après Cisco. La masse critique n’est pas encore atteinte pour que ces lenteurs et ces bugs constituent de gros problèmes. Toutefois, le réseau s’en rapproche dangereusement. Les internautes IPv6 ne représentent pour l’instant que 1,52 % du trafic mondial mais le mouvement s’accélère. En moins de 6 mois, 10 % des internautes suisses viennent de passer au nouveau protocole.

Anticiper la migration Internet, d’IPv4 à IPv6

Dans sa dernière étude Tech Trends 2013, Deloitte appelle aussi les entreprises à anticiper cette migration mondiale pour leurs applications en interne. « Les entreprises doivent faire un bilan sur l’ensemble de leurs infrastructures en prenant en compte les perspectives IT et business », conseille Sébastien Ropartz. Bonne nouvelle, l’installation IPv6 pour l’usage interne peut attendre le renouvellement naturel du matériel réseau (routeurs, serveurs,…). « En interne, c’est moins urgent, concède Faycal Hadj, sauf si la stratégie de l’entreprise est centrée sur l’innovation car c’est plus facile de développer des nouveaux usages avec la technologie IPv6. » Anticiper maintenant le passage à l’IPv6 immunise également contre des difficultés de croissance externe. Lorsqu’une start-up innovante connectée IPv6 est rachetée par une entreprise restée à l’IPv4, la migration sur les serveurs de la maison-mère peut poser problème. Pour les groupes internationaux, faire cohabiter sur un même système un siège asiatique connecté en IPv6 et un siège européen connecté en IPv4 ne permet pas d’optimiser la puissance des serveurs.

20 ans d'urgence...
  • L’IPv6 est au cœur de plusieurs polémiques depuis presque vingt ans. De nombreux cassandres prédisaient de grandes catastrophes sur le réseau si les infrastructures n’étaient pas adaptées au nouveau protocole. Et il ne s’est jamais rien passé. Les acteurs du secteur concèdent des « erreurs de com’ » dans le passé. À l’époque, c’était en réalité au tour des fournisseurs d’accès à Internet d’adapter leur matériel, et non aux entreprises. Finalement, les FAI ont fait leur travail. Au tour des sociétés de s’y mettre. 

Alors que faire ? « Certaines briques IPv6 viennent aujourd'hui toutes seules aux entreprises, elles sont mises en œuvre par les équipementiers ou les éditeurs de systèmes d'exploitation ou de logiciels réseau », rassure Mohsen Souissi, responsable R&D à l’AFNIC (l’association chargé de la gestion des noms de domaine français). Mais l’entreprise doit néanmoins s’assurer que son fournisseur d’accès à Internet (FAI) connecte ses installations en IPv6. « Attention, contrairement aux offres réservées aux particuliers, les offres entreprises proposées par les grands FAI sont peu développées sur l’IPv6 », prévient Mohsen Souissi. Une fois dotées d’une adresse IPv6, les entreprises doivent tester leur connexion et s’assurer qu'elle est aussi bonne en IPv6 qu'elle l’était en IPv4. Il faut anticiper cette séquence d’essai. « Pour faire basculer en IPv6 la centaine de serveurs qui gèrent le millier d’applications-client du groupe PSA, il a fallu deux ans », relève Faycal Hadj. Pour des groupes plus petits, la transition peut prendre deux ou trois mois. Question prix, « Comptez une équipe de 10 personnes, en interne comme en externe, et le coût de renouvellement des machines pour disposer de machines équipées en IPv6 », évalue Sébastien Ropartz pour Deloitte.

Un mouvement indispensable pour l’innovation

Les entreprises du CAC 40 ont pour la plupart déjà lancé ce mouvement vers l’IPv6. Les ETI et les PME sont très en retard. Alors que le réseau français est plutôt en avance sur le reste du monde. « Nous devrions donc être les premiers à adopter la technologie, à montrer l'exemple, et à développer des produits innovants qui en tirent profit », se désole Thierry Ernst, président de l’association de promotion de l’IPv6, G6. À la manière d’Airbus qui a su en profiter en développant une offre de streaming vidéo à bord des avions de ligne en vol grâce à la puissance du nouveau protocole. L’avionneur européen n’y aurait pas songé s’il n’avait pas entamé sa migration vers les nouveaux quartiers d’Internet. Sans embouteillage ni surpopulation.

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