mercredi 20 juillet 2011

Patrick Hereng (DSI, Total) "Le budget informatique de Total s'élève à 1,040 milliard d'euros"

Déploiement de 5000 iPhone, refonte de la politique de sécurité, innovations au service des métiers... Dans cet entretien exclusif, le DSI de Total détaille sa stratégie et ses projets.


c'est en 2006 que patrick hereng a été nommé directeur des systèmes
C'est en 2006 que Patrick Hereng a été nommé directeur des systèmes d'information et télécommunications de Total. © Cécile Debise / JDN


JDN Solutions. Comment se structure la gouvernance du groupe Total, et au sein de cette gouvernance celle de la DSI ?


Patrick Hereng. La gouvernance des systèmes d'information est calquée sur l'organisation des métiers de Total : d'abord le secteur amont, avec l'exploration et la production des hydrocarbures et l'activité gaz, énergies nouvelles, puis le secteur aval avec le raffinage et le marketing - c'est-à-dire le réseau de distribution de carburants - et le trading shipping. Nous avons une dernière branche chimie et chimie spécialité. Nous avons une direction des systèmes d'information pour chacun de ces métiers. C'est une organisation qualifiée de fédérée. Ce choix est motivé par la grande différence qui existe entre tous ces métiers.

Pour fédérer les systèmes d'information du groupe, la holding dispose d'une direction des systèmes d'information. Elle assure trois missions : le développement des systèmes corporate, qui sont de plus en plus transverses au groupe, la délivrance des services partagés, autour des infrastructures de télécommunications, du réseau mondial du groupe, de la sécurité et d'une partie du poste de travail. Enfin, la DSI a une mission régalienne de définition de règles visant à harmoniser les systèmes d'information de Total.

Lire la suite de l'interview de Patrick Hereng...

Dossier réalisé par Antoine CROCHET-DAMAIS, Journal du Net
Publié le 17/06/2011

Les processus de gouvernance et de validation sont les mêmes pour les projets informatiques que pour les projets métiers. Au-delà d'un certain seuil, les projets IT doivent être validés par le comité exécutif. Chaque branche présente ses projets informatiques. Je me charge de présenter ceux liés à l'infrastructure mutualisée.
En quelques chiffres, le groupe Total compte 2000 informaticiens au niveau mondial. Le budget informatique est stable depuis 2006, aux alentours de 1,050 milliard d'euros. Il s'établit à 1,038 milliard d'euros en 2010.

total est membre du club informatique des grandes entreprises françaises
Total est membre du Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref). Patrick Hereng s'y implique activement. © Cécile Debise / JDN

Quels sont les systèmes d'information clés de Total liés aux métiers du pétrole ?

Au niveau de l'exploration et la production, les systèmes stratégiques sont des outils scientifiques, notamment d'imagerie, qui permettent de trouver et de mieux traiter la production du pétrole. Ces applications combinent des outils du marché avec des développements internes. Ils permettent de visualiser la topographie des lieux et prendre position sur des permis, pour éventuellement ensuite trouver du pétrole.Ce système d'information que nous qualifions de pétrolier est stratégique pour nous, et représente des investissements très importants. Il comprend notamment des supercalculateurs. Nous avons pour objectif en 2012 de doubler leur puissance de calcul, et atteindre 1 pétaflop. Nous utilisons aujourd'hui la technologie Silicon Graphics.


En matière de gestion de la chaine logistique, des problématiques liées au système d'information sont également spécifiques aux métiers du pétrole. Dans ce domaine, le système de gestion des bilans matières est critique, notamment en vue d'optimiser les coûts de transport. Les bilans matière variant en fonction de la température, le produit prend en effet plus ou moins de volume.

Toutes les branches utilisent SAP au niveau du groupe. Pour la pétro-chimie, SAP fait l'objet d'une implémentation unique au niveau mondial ce qui est spécifique à ce métier. Toujours dans le domaine de la distribution, nous avons également une activité de gestion des cartes clients dédiées aux professionnels qui s'apparente à un système de gestion de cartes bancaires, lui aussi très spécifique.

Pourquoi avoir sélectionné SAP ? Ce choix a-t-il été réalisé du fait de la capacité d'adaptation de SAP aux métiers de Total ?


Oui. C'est lié au développement important réalisé par SAP pour les métiers du pétrole. Aujourd'hui, il n'y a pas un grand pétrolier au monde qui n'utilise pas SAP. Cet éditeur a en effet su répondre à nos besoins en matière par exemple de gestion des températures sur les bilans matières ou de gestion des prix. Aucun autre éditeur n'est capable de cibler des questions aussi complexes.


Le groupe Total que nous connaissons aujourd'hui est issu de la fusion en 2000 entre les sociétés Total, Elf et Petrofina. Quels ont été les chantiers informatiques d'harmonisation lancés dans la foulée de ce rapprochement ?

Une première phase a débuté en 2000 au moment de la fusion. Elle a consisté à élaborer et mettre en œuvre les systèmes d'information permettant au groupe de fonctionner dans la nouvelle configuration. Il s'agissait notamment d'implémentations SAP déployées dans toutes les branches sur la base de processus métier harmonisés. Cette étape s'est achevée en 2005-2006.

patrick hereng, 55 ans, est ingénieur diplômé de l'institut supérieur
Patrick Hereng, 55 ans, est ingénieur diplômé de l'Institut Supérieur d'Électronique du Nord (ISEN). © Cécile Debise / JDN

Une deuxième phase qui a commencé en 2007 consiste à harmoniser l'informatique distribuée. L'objectif est d'équiper tous les collaborateurs d'un socle de poste de travail unique, des raffineries aux plates-formes de forage en passant par les filiales combustibles, marketing et pétro-chimie. Nous avons déployé aujourd'hui 40 000 postes dans le monde.


Ce programme vise également à modifier les solutions et architecture de sécurité. Schématiquement, nous sommes passés d'un modèle périmétrique de frontière que l'on pourrait qualifier de ligne Maginot séparant l'interne de l'externe, et de plus en plus inefficace, à un modèle de sécurité embarqué. Il consiste à placer des dispositifs de sécurité, adaptés aux exigences, dans tous les composants. Ce qui nous permet d'ouvrir ou fermer le système d'information de façon beaucoup plus modulaire.

"L'émergence de la mobilité et de l'entreprise étendue nous a poussé à modifier notre infrastructure de sécurité"

Vous avez participé en 2010 à la réflexion du Cigref autour de la sécurité des terminaux mobiles. En quoi cette implication rejoint-elle vos préoccupations en tant que DSI de Total ?

C'est effectivement une problématique pour nous. Plus largement, deux facteurs ont poussé la transformation de notre infrastructure de sécurité : d'une part la mobilité avec un besoin d'accéder au système d'information de n'importe où et quel que soit le type de terminal, d'autre part l'émergence de l'entreprise étendue avec la dématérialisation des flux et une communication croissante entre les systèmes d'information, avec les clients et les fournisseurs. Le tout rend la frontière entre intérieur et extérieur de plus en plus difficile à matérialiser, et nécessite de revoir donc l'architecture et les dispositifs de sécurité.

Quel est votre choix en matière de smartphone ?

Nous avons fait le choix de déployer l'iPhone comme smartphone unique au niveau du groupe. Notre parc d'iPhone s'élève à environ 5000 terminaux aujourd'hui. Nous avons mis en place des outils de sécurité adaptés à ce parc, notamment pour effacer les données sur le téléphone en cas de perte. Nous sommes en train de mettre en œuvre des solutions de gestion de parc pour réaliser ce processus de façon plus industrielle, et mieux gérer les mises à jour. Nous avons mis en place les dispositifs de sécurité qui nous paraissent suffisants pour déporter la messagerie sur le téléphone, et accéder au système d'information à travers le téléphone.


le bureau de patrick hereng est situé dans la tour total à la défense.
Le bureau de Patrick Hereng est situé dans la tour Total à La Défense. © Cécile Debise / JDN

L'un des points forts majeurs de l'iPhone réside dans son taux de pénétration important au niveau mondial. Nous sommes implantés dans 130 pays. L'avantage de l'iPhone comparé à d'autres terminaux qui ont aussi leurs qualités, c'est d'offrir un terminal unique qui est le même partout. Il n'y a pas des versions spécifiques à telle ou telle zone géographique, ou tel ou tel constructeur. Ce n'est pas le cas des Google Phone Android ou des Windows Phone.

L'autre avantage réside dans la durée de vie des iPhone. Nous avons par exemple encore quelques iPhone 3G en production, que nous sommes en train de migrer vers des versions plus récentes. L'iPhone offre aussi une bonne compatibilité ascendante.

"Nous avons lancé un projet visant à harmoniser les solutions d'intranet collaboratif"

Toujours sur le plan des infrastructures de communication, où en êtes-vous en matière de ToIP et VoIP ?

Nous sommes en train de remplacer les solutions de téléphonie traditionnelle et migrer l'ensemble du groupe vers la ToIP. C'est un dispositif qui a aussi pour but d'améliorer le collaboratif, compte-tenu notamment des besoins de transversalité que nous avons de plus en plus en vue d'associer les compétences.

Menez-vous des projets autour des réseaux sociaux d'entreprise ?

Nous allons lancer un projet de portail d'entreprise qui a pour but d'harmoniser les sites Internet du groupe. Nous nous apprêtons à lancer un second projet, de portail intranet cette fois, qui a pour but d'harmoniser les solutions existantes, de développer le collaboratif et de mettre en place des réseaux sociaux pour favoriser les échanges. Le but est de compléter ce que nous utilisons déjà : la messagerie instantanée, la visio-conférence poste à poste... L'idée est de faciliter le partage d'informations.

Avez-vous une démarche d'innovation au sein de la DSI de Total ?

Quels que soient les métiers du groupe, nous faisons face à une concurrence mondiale farouche. Nous sommes en concurrence avec les autres majors du pétrole, et continuons à nous battre aussi contre les autres. Mais, nous voyons également de plus en plus apparaître les compagnies nationales qui se développent maintenant en dehors de leur pays d'origine.

patrick hereng a été dsi de cdc marchés entre 1996 et 1998, avant de rentrer
Patrick Hereng a été DSI de CDC Marchés entre 1996 et 1998, avant de rentrer chez Total. © Cécile Debise / JDN

Dans ce contexte, nous observons une demande accrue des métiers en matière d'innovation informatique, et plusieurs projets ont été récemment lancés sur ce terrain. Notre chantier de supercalculateur multi-pétaflopique en est un premier exemple. Dans un autre domaine, nous commençons à utiliser la réalité virtuelle pour former les opérateurs en amont des opérations en mer. Nous avons par exemple modélisé une plate-forme pétrolière d'une superficie équivalente à quatre terrains de football.

Nous testons ce type de serious games pour répondre à d'autres types de besoin. Notamment pour réaliser des exercices de sécurité en environnements virtuels, qui sont difficiles à mettre en œuvre en situation réelle, sur nos infrastructures de raffinerie par exemple. Ces environnements peuvent nous permettre de simuler des accidents par exemple, pour ensuite apprendre à mieux les gérer en situation réelle. Le serious games fait partie des leviers d'innovation pouvant ainsi permettre d'améliorer la sécurité de nos raffineries.


Faites-vous appel aux applications en mode SaaS ?


Nous commençons à déployer des applications SaaS ou Cloud. Nous envisageons d'étendre leur utilisation pour répondre à des besoins d'optimisation de coûts de certains métiers. L'avantage est aussi la rapidité de déploiement et la flexibilité.

"Nous avons mis en oeuvre deux réseaux sociaux d'entreprise en mode SaaS"
Nous avons commencé avec quelques applications SaaS pilotes. C'est le cas de deux réseaux sociaux, l'un cible les femmes et a pour but de promouvoir les femmes dans l'entreprise, le second les expatriés. Ces projets ont été déployés en moins de deux semaines entre le moment où la décision a été prise et celui où l'application était opérationnelle, ce qui aurait été difficile si nous étions partis sur un déploiement en interne.

Nous allons forcément avoir une évolution de notre système d'information actuel pour aller vers une utilisation que l'on peut qualifier de Cloud hybride. Certains systèmes legacy n'ont en effet pas de raison de changer à court terme. Nous réalisons aussi des opérations de consolidation de centres de données internes que nous combinons à des projets de virtualisation, qui nous amènent à nous lancer dans des chantiers de Cloud interne privé. D'un autre côté, nous aurons une partie de nos applications sur des Cloud externes. Nous allons tester le Cloud de Microsoft sur la partie bureautique pour compléter les solutions actuelles.

La sécurité freine-t-elle l'adoption du Cloud ?

Nous ne prenons pas la problématique de sécurité des Clouds publics à la légère. Des Clouds publics ont déjà essuyé des problèmes de sécurité. De ce fait, nous ne migrerons pas toutes nos données vers le Cloud, et les systèmes cœurs de métiers resteront très probablement en interne.

une démonstration des environnements virtuels mis en ½uvre pour la formation en
Une démonstration des environnements virtuels mis en œuvre pour la formation en amont des opérations en mer a été réalisée au comité exécutif de Total. © Cécile Debise / JDN

Nous avons aussi des systèmes internes à très forte volumétrie dont la migration vers le Cloud semble complexe. 10 000 utilisateurs sont par exemple clients de SAP.

Plus globalement, le SaaS est une lame de fond. C'est une tendance que l'on ne peut plus ignorer. Tous les acteurs du monde informatique se tournent vers ce modèle. Forcément, à un moment ou un autre, c'est quelque chose que l'on ne peut plus ignorer. Même si on ne souhaite pas y aller, on y sera contraint. C'est un peu comme l'Internet.

La question n'est donc pas de savoir s'il faut y aller, mais plutôt comment l'adopter, à quelle vitesse et quelle est la bonne réponse pour l'entreprise. Mais, il est difficile encore d'estimer à quel rythme cette transformation va se faire.


La concentration des fournisseurs IT présente-t-elle un risque pour vous ?


C'est à la fois une opportunité et un risque. Dans le monde du service, nous sommes encore très loin d'une situation dans laquelle un seul acteur aurait la possibilité de répondre à un besoin. Le marché est encore très fragmenté. Les marges de manœuvre sont encore importantes. Sur les fournisseurs de technologies, la concentration est déjà plus forte. Là en effet, nous essayons chaque fois que c'est possible de conserver du bi-sourcing. Mais, dans certains cas, ce n'est pas possible. Concernant SAP par exemple, il n'y a pas d'alternative.

"Faire partie du Cigref aide les grandes entreprises françaises dans leurs relations avec les grands fournisseurs"

Faire partie du Cigref aide les grandes entreprises françaises dans nos relations avec les fournisseurs, et nous donne plus de poids.

Mais, il faut garder aussi en tête que cette concentration permet de bénéficier d'outils plus intégrés, même si ce n'est pas encore toujours le cas selon les acteurs. L'une des problématiques du DSI demeure en effet l'intégration des composants à l'échelle du groupe. Ce qui coûte cher aujourd'hui, ce sont les interfaces. C'est une des raisons d'ailleurs pour lesquelles nous avons fait le choix de Microsoft sur le poste de travail, avec Sharepoint, la messagerie, la messagerie instantanée. Cette politique nous évite d'avoir à traiter cette problématique d'intégration entre ces différentes briques. C'est l'un des paris d'Oracle en rachetant Sun de proposer plus d'intégration.


En savoir plus



A l'occasion de cet entretien, Patrick Hereng a confié à la rédaction une question qu'il souhaite poser au directeur général de Capgemini. Le Journal du Net transmettra cette question portant sur le Cloud public à Paul Hermelin lors d'une interview qui sera prochainement réalisée.

Patrick Hereng est directeur des systèmes d'information et télécommunications de Total depuis janvier 2006. Il est ingénieur diplômé de l'Institut Supérieur d'Électronique du Nord (ISEN). Patrick Hereng a débuté sa carrière chez IBM en 1979. Il a ensuite rejoint le constructeur informatique Intertechnique où il a occupé plusieurs fonctions jusqu'en 1985. Puis, après 6 années passées chez Cap Gemini, il intègre la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). En 1996, il prend la tête de la DSI de CDC Marchés. Patrick Hereng rentre chez Total en 1998, au sein de la branche Raffinage Marketing. Il collabore notamment à la fusion des systèmes d'information des trois sociétés Elf, Fina et Total. En 2001, il est nommé directeur des Systèmes d'Information du Raffinage Marketing.



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http://www.journaldunet.com/solutions/dsi/patrick-hereng-dsi-de-total-projets-innovation-securite-et-gouvernance/?utm_source=benchmail&utm_medium=ML7&utm_campaign=E10201017&f_u=23951499

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