mercredi 20 juillet 2011

Alexander Graham Bell

18/07 | 07:00 | mis à jour à 10:02 | Tristan Gaston-Breton

Alexander Graham Bell

L'inventeur du téléphone. Ingénieur d'origine écossaise et homme d'affaires avisé, il a consacré sa vie à l'étude des sons et du langage, pour venir en aide aux malentendants. Son invention - presque le fruit du hasard -va révolutionner les communications.

Ecrit par
Tristan GASTON-BRETON
Journaliste

« Monsieur Watson, venez ici, j'ai besoin de vous ! » Le 10 mars 1876, dans son laboratoire de Boston, Alexander Graham Bell réalise avec son assistant la première liaison téléphonique de l'histoire. Anodine, la petite phrase entrera très vite dans la légende. Le téléphone, pourtant, mettra quelque temps à s'imposer, suscitant au départ le scepticisme général. Aux arguments de ses détracteurs, Alexander Graham Bell ne cessera d'opposer sa foi dans le nouveau mode de communication, voué, selon ses propres termes, à « changer le monde ». « Le temps n'est plus très éloigné où deux amis habitant loin l'un de l'autre pourront se parler sans avoir à sortir de chez eux », pronostique-t-il dès 1875. L'avenir devait lui donner raison.

L'invention du téléphone est un peu le fruit du hasard. Neuf mois auparavant, en juin 1875, alors qu'ils cherchent à débloquer un fil sur un appareil qu'ils viennent de mettre au point, les deux hommes entendent distinctement un bruit métallique provenant du câble de leur télégraphe. Pour la première fois et de manière tout à fait fortuite, un son est transmis au moyen de l'électricité, confirmant les intuitions d'Alexander Graham Bell. En mars 1876, c'est à nouveau le hasard qui est au rendez-vous. Absorbé par la mise au point d'un émetteur, l'inventeur renverse accidentellement un peu d'acide sur sa table de travail et son pantalon. Agacé, il appelle à la rescousse Thomas Watson, qui travaille dans la pièce d'à côté sur un récepteur. « Monsieur Watson, venez ici, j'ai besoin de vous ! ». Quand quelques secondes plus tard, l'assistant se présente devant lui, Bell comprend qu'il a gagné son pari : l'injonction est directement parvenue sur le récepteur de son assistant par l'intermédiaire du câble qui le relie à son propre émetteur ! Le téléphone vient de voir le jour.

La vie d'Alexander Graham Bell a sa part d'ombre. Adulé de son vivant, riche et couvert d'honneurs, l'inventeur - ou du moins sa légende -a eu tendance à éclipser l'aide pourtant fondamentale que lui apporta Thomas Watson. Sans ce jeune mécanicien embauché en janvier 1875 et qui se dévoua sans compter aux projets de son patron, Bell, peu habile de ses mains, ne serait sans doute jamais parvenu à fabriquer le premier appareil téléphonique. Doué de ses dix doigts, d'un enthousiasme inébranlable, Watson fut un peu le bon génie d'Alexander Graham Bell. Entre les deux hommes, l'entente fut toujours totale.

Une interminable procédure judiciaire

Obligés l'un et l'autre de travailler dans la journée - Bell comme professeur à l'université de Boston, Watson comme mécanicien réparateur -, les deux hommes se retrouvaient le soir dans le petit atelier de Boston pour de longues séances de travail qui, bien souvent, les entraînaient jusqu'à l'aube. A maintes occasions, lorsque Bell, épuisé nerveusement, dut quitter précipitamment Boston pour aller se reposer à Brantford (Ontario), où vivaient ses parents, ce fut Thomas Watson qui assura la continuité des travaux, reprenant une à une les hypothèses de son patron. Le fidèle assistant, il est vrai, fut largement récompensé de ses efforts, devenant, aux côtés de Bell et de quelques autres, l'un des tout premiers actionnaires de la Bell Telephone Company.

La querelle sur la paternité même de l'invention du téléphone constitue un autre coup de canif dans la légende Bell. Dès mars 1876, Elisha Gray, qui travaillait lui-même sur la transmission du son par l'électricité et avait mis au point un modèle de téléphone, contesta les droits de Graham Bell sur le nouvel appareil. Parfaitement au courant des travaux de son concurrent, Bell avait pris soin de déposer le premier ses brevets devant les autorités fédérales. La paternité de l'invention se joua à une heure près ! Une interminable procédure judiciaire en résulta qu'Alexander Graham Bell finit par gagner. Mais, dans l'affaire, l'inventeur se montra impitoyable, défendant avec acharnement, lui et son armée d'avocats, ce qu'il estimait lui revenir de droit. L'enjeu, il est vrai, était d'importance, qui portait sur le monopole total de la fabrication du téléphone aux Etats-Unis pendant dix-neuf ans, sans compter les droits pour l'étranger. A la clef : plusieurs millions de dollars de royalties.

Inventeur et homme d'affaires avisé, Alexander Graham Bell doit beaucoup à sa famille et aux traumatismes qu'il subit très jeune. Il doit également beaucoup à quelques bienfaiteurs dont l'aide lui fut des plus précieuses pour mener à bien ses projets. La famille, c'est d'abord les figures de son grand-père, Alexander Bell, de son père, Alexander Melville Bell, et de sa mère, Eliza Grace. Installés à Edimbourg, en Ecosse, les Bell baignent depuis longtemps dans l'audiologie et l'étude du langage. Scientifique réputé, spécialiste des sons, le grand-père d'Alexander Graham Bell passe son temps entre Edimbourg et Londres où il connaît de nombreux savants. Quant au père d'Alexander Graham Bell, Alexander Melville Bell, c'est une autorité mondialement reconnue en matière de langage et d'audiologie. Lorsque Alexander Graham Bell vient au monde à Edimbourg en 1847 - le prénom Graham sera rajouté en 1858 en hommage à un ami de la famille -, il vient d'inventer une sorte de langage universel pour les malentendants, la « parole visible », fondé sur l'utilisation de quelques signes aisément reconnaissables. L'ancêtre du langage des sourds-muets. Très tôt, Graham sera fasciné par les sons dont son père et son grand-père lui révéleront les mystères cachés. D'autant que sa mère, Eliza Grace, est affectée de surdité partielle ! C'est en grande partie à son intention qu'Alexander Melville a inventé son langage visible. C'est également à son intention que Graham, alors âgé de onze ans, réalise, avec l'aide de ses deux frères, Melville et Edward, un amplificateur de sons bricolé à partir d'un crâne de mouton.

Dès cette époque, Graham Bell sait à quoi il consacrera sa vie : au langage, notamment pour venir en aide aux malentendants. Mais le traumatisme, ce n'est pas seulement le spectacle d'Eliza Grace à laquelle toute la famille doit parler fort pour se faire entendre et sur laquelle Alexander Melville expérimente ses propres inventions. C'est aussi, et peut-être surtout, la mort de ses deux frères, victimes en 1867 et 1870 d'une tuberculose foudroyante. En 1870, Graham Bell a vingt-trois ans. Après avoir passé deux ans au Collège royal d'Edimbourg, il est devenu professeur de musique et d'élocution dans une école pour enfants. La mort de son deuxième frère le brise. Atteint lui-même, il passe de longues semaines entre la vie et la mort. Abattus par ces revers du destin, ses parents décident alors de quitter l'Ecosse pour le Canada. En juillet 1870, la famille s'installe dans une ferme située près de Brantford, dans l'Ontario, où Alexander Melville et Eliza Grace vont désormais mener, après une longue et difficile période d'apprentissage, la vie de propriétaires terriens. Cet épisode douloureux laisse des traces sur le caractère de Graham Bell : solitaire, passant des heures entières à jouer du piano, il est aussi un passionné de la nature. Sa quête presque obsessionnelle de pureté, souvenir de la tuberculose qui a enlevé ses deux frères, le conduit à faire de longues promenades dans les collines environnant la ferme familiale. Plus tard, devenu riche et célèbre, Graham Bell fera construire pour lui et sa famille une splendide propriété en Nouvelle-Ecosse, Beinn Bhreagh, « belle montagne » en gaélique. Elle sera son refuge à chaque fois que les contraintes de sa vie professionnelle deviendront trop pesantes.

Observatoire et embarcadère privé

Laissant ses parents à Brantford, Graham Bell s'installe en 1871 à Boston où il donne des conférences sur le langage des sourds-muets avant d'ouvrir l'année suivante sa propre école. En 1873, il devient professeur de physiologie vocale à l'université de Boston. C'est alors qu'il commence à s'intéresser à la transmission du son par l'électricité. Lors d'une expérience, il a en effet constaté que le son de la voix pouvait faire vibrer un petit disque de métal. Ce phénomène lui a donné une idée : pourquoi ne pas utiliser cette vibration pour créer un signal électrique qui transmettrait le son à distance via un électroaimant ? L'idée du téléphone vient de germer. Dans ses travaux, le jeune savant va être puissamment aidé par l'attorney de Boston, Gardiner Greene Hubbard, dont la fille Mabel est affligée d'une grave surdité. En échange de leçons particulières pour sa fille, Gardiner Hubbard s'engage à soutenir financièrement les travaux de Bell. Marché conclu ! Peu à peu, la jeune fille - elle est alors âgée de quinze ans -apprend à mieux connaître son professeur. De promenades en causeries et bientôt en confidences, une idylle se noue. En juillet 1877, Graham Bell épouse Mabel Hubbard. A sa jeune épouse, l'inventeur donne en cadeau 10 actions de la société qu'il vient de fonder quelques jours plus tôt. Car, entre-temps, Graham Bell a entamé sa marche vers la célébrité et la richesse.

Les choses, pourtant, ont mal commencé. Au lendemain de la découverte fortuite de mars 1876, il se met en quête d'un industriel capable de lancer la production de téléphones sur une grande échelle. A la Western Union Telegraph Company, l'inventeur propose de racheter ses droits sur le téléphone moyennant le paiement de 100.000 dollars. La réponse du groupe ne se fait pas attendre. « Ce téléphone présente encore trop de défauts pour être sérieusement considéré comme un moyen de communication valable. Cette invention n'a clairement aucune valeur pour nous », tranche la direction de l'entreprise. Quand celle-ci s'avisera de son erreur, il sera trop tard. Econduit par la Western Union, Graham Bell décide d'exploiter lui-même son brevet. En juillet 1877, quelques jours avant son mariage, il crée avec Thomas Watson et quelques associés la Bell Telephone Company, la future American Telephone & Telegraph Company, qu'il ne dirigera jamais lui-même. Six mois plus tard, alors que son invention a commencé à se répandre aux Etats-Unis, Graham Bell vient faire une démonstration du téléphone devant la reine Victoria d'Angleterre et sa cour. Une véritable consécration.

L'ancien professeur d'audiologie est désormais devenu un grand bourgeois à la notoriété planétaire. Membre de plusieurs clubs et associations, dont la National Geographic Society, dont il deviendra président en 1898, résidant dans le quartier chic de Boston, Graham Bell, Mabel et leurs deux filles passent tous leurs étés dans leur propriété de Beinn Bhreagh, édifiée en 1885. Avec ses 35 pièces, son observatoire, son terrain de tennis et son embarcadère privé, cette demeure est la véritable passion de Graham Bell, qui y investit chaque année près de 40.000 dollars. Ses instants d'intimité, il les passe sur son bateau qui lui sert également de bureau, le « Marbel of Beinn Bhreagh », amarré en permanence au pied de la propriété. C'est là qu'il se retire pour réfléchir à de nouvelles inventions, de préférence tard le soir, n'hésitant pas à couper ses longues heures de travail par des bains de nuit solitaires. Passionné par l'aéronautique, il sera également, avec quelques passionnés, à l'origine du premier vol public d'un avion en Amérique du Nord en 1907, soit quatre ans seulement après le vol - privé celui-là -des frères Wright. « Je crois que, dans quelques années, il sera possible à un particulier de dîner à New York à sept heures ou huit heures du soir et de prendre le lendemain matin son petit déjeuner en Angleterre ou en Irlande », annonce-t-il à cette occasion. Cette fois encore, la prédiction se révélera juste. A la veille de la Première Guerre mondiale, le téléphone est définitivement entré dans les moeurs des Américains, contribuant à révolutionner la communication entre les gens. En 1914, les Etats-Unis comptent déjà près de 6 millions d'appareils téléphoniques, contre 300.000 à peine vingt ans plus tôt. En 1915, avec son fidèle assistant Thomas Watson, Graham Bell réalise la première liaison téléphonique « coast to coast », entre New York et San Francisco. L'inventeur ne verra cependant pas la mise en place, par ATT, de la première liaison transatlantique entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Lorsqu'elle est inaugurée en 1927, au prix prohibitif de 75 dollars les cinq minutes, cela fait déjà cinq ans que Graham Bell est mort, emporté par la maladie dans son cher Beinn Bhreagh.

(tristan.gaston-breton@kgb-co.fr)

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