Un ancien de Pixar se met au livre enrichi…

by Marc Jahjah on juil 12, 2011 • 22 h 00 min Pas de commentaire

À l’origine, The Fantastic Flying Books of Mr. Morris Lessmore est un court-métrage du studio Moonbot Studios, récompensé plusieurs fois et étrangement proche des réalisations de Pixar (qui devrait se limiter à cette forme, d’ailleurs – voir l’exceptionnel Presto). Normal : le fondateur de Moonbot (William Joyce) est un ancien du studio ! Sa petite animation, adaptée en jeu, est aujourd’hui disponible en livre enrichi sur l’App’Store (4,99 $). L’histoire, plutôt belle, raconte la passion d’un homme pour ses livres et le réconfort qu’il en tire.

Quelques remarques :

• L’application est simple d’utilisation. Très rapides, la prise en main et l’accès à l’histoire : pas de fioritures ni d’explications inutiles (toujours se méfier des applications qui donnent leur mode d’emploi : elles sont mal foutues). Moins simple qu’elle n’y paraît, cependant : un travail évident a été réalisé pour coordonner les actions aux sens. Ainsi, le bruit d’une porte qui cogne indique qu’on peut/doit l’ouvrir et la table des matières, illustrée, témoigne d’une réflexion sur la nature de l’ouvrage, chapitré comme un DVD, dynamique (de petits signes – ABC, note de musique, etc.- viennent indiquer où se trouvent les jeux).

• Les fonctionnalités-boutons-du-menu sont réduites et consistent, pour l’essentiel, à activer/désactiver les bruits sonores/la musique d’ambiance/le texte/la voix off, comme s’il s’agissait de rendre toujours possible la réinitialisation, la réduction à l’histoire, sans les ajouts (mais par rapport à quoi ? on avait affaire à un film auparavant…et la remarque vaut d’ailleurs pour le titre que j’ai choisi « livre enrichi » par rapport à quel « livre-de-base » ?) qui pourraient être jugés de trop, bruit-parasite, gêne.

• Le passage entre le court-métrage et l’application est révélateur. Pour figurer le livre, un travail de mise en signes a été effectué, qui passe par la multiplication des objets de reconnaissance du livre, dans l’image qu’on s’en fait : vieux papier irrégulier sur lequel est inscrit le texte, page-qui-se-tourne-comme-pour-de-vrai. Une vieille illustration qui prend lentement la forme d’une animation illustre cette transition :

• L’application doit pouvoir se justifier. C’est pourquoi les jeux, l’interaction sont avant tout éducatifs : manipulation ludique des mots, reconstitution d’une page déchirée, les jeux ont un sens tant qu’ils sont pé-da-go-gi-ques. L’ergodique et le noématique (immersions corporelle et intellectuelle) sont ainsi équilibrés, non pas parce qu’ils répondraient à une idée fantasmée du livre (« beaucoup de texte et peu d’images »), mais parce qu’ils ont été ajustés à partir d’une cible (les enfants) et d’une ambition.
• Lecture-plaisir et fonctionnelle sont ainsi les deux axes autour desquels s’organisent l’application (en France, à la fin des années 70, c’est également le modèle privilégié par les discours scolaires officiels…).

• Plaisir d’assister à la synchronisation entre le texte lu et l’exécution des gestes par le personnage, mécanique parfaitement huilée qui veut pouvoir rendre compte du pouvoir performatif des mots. L’impression donnée est alors celle d’illustrations en mouvement, alors qu’on aurait pu craindre que le texte fût instrumentalisé, utilisé comme un prétexte, sorte de sous-titrage de vidéos.

• Certains reprocheront (critique que nous entendrons souvent) à l’application de « mâcher » le travail, comme si l’histoire n’avait lieu que dans le temps délimité de la lecture, comme si la formation des images, valorisée par les tenants du « travail de l’imagination », ne se réalisait qu’à un moment précis, dont il faudrait profiter vite, à l’instant, avant qu’il ne disparaisse sans prévenir. Mais une histoire nous travaille, et nous la travaillons, dans des temps plus longs que nous le croyons.

Merci à ma chère Nadia pour l’info. ;)

http://www.sobookonline.fr/livre-enrichi-social-interactif/un-ancien-de-pixar-se-met-au-livre-enrichi/