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POINTS DE VUE d'Augustin Landier et David Thesmar
Par Augustin Landier et David Thesmar | 13/03 | 06:00
POINTS DE VUE d'Augustin Landier et David Thesmar
Par Augustin Landier et David Thesmar | 13/03 | 06:00
Dans nos économies modernes, la production de choses ne coûte ni ne rapporte presque plus rien. Ce basculement vers l'immatériel rend anachronique toute nostalgie de la France industrielle. Mais il nécessite une profonde réforme de nos représentations de l'économie.
La dématérialisation de l'économie est le résultat d'une double dynamique. Premièrement, la montée en puissance des services dans nos économies développées, qui représentent environ 80 % du PIB. Dans l'industrie elle-même, l'essentiel de la marge est désormais créée par les services vendus avec les produits (maintenance, financement, conseil). La seconde force, ce sont évidemment les technologies de l'information qui imprègnent tous les secteurs de l'économie. L'essentiel de la valeur créée par ces technologies, ce n'est pas la capitalisation de Facebook ou les profits de Google, mais la transformation de l'ensemble du secteur productif, même l'industrie lourde ou les services peu qualifiés.
La semaine dernière, le PDG de GDF-Suez rappelait que l'avenir de son groupe, ce sont les services. Et d'acter dans la foulée une dépréciation d'actifs de 15 milliards d'euros pour solder l'ère révolue des vieux métiers. On est donc loin du constat d'un Jean-Marie Messier, qui pensait tirer parti de la révolution Internet en faisant de la Générale des Eaux une entreprise de médias. Le numérique a au contraire percolé dans tous les secteurs, même les plus anciens : énergie, eau, commerce, taxis, services à la personne. Ces transformations nous obligent à faire évoluer la représentation que nous nous faisons de l'économie. Nous voyons quatre développements qu'il est essentiel d'engager.
La comptabilité est inadaptée à l'ère de l'immatériel, elle ne donne plus une grille pertinente pour valoriser les entreprises. Les normes comptables se focalisent sur l'amortissement des machines et le calcul des délais de paiement. Or, dans l'économie de l'immatériel, le capital est essentiellement organisationnel : l'ensemble des process et le savoir-faire de l'entreprise. Lorsque ce savoir-faire n'est pas breveté, il n'apparaît pas dans les comptes. En un sens générique, la comptabilité est faite pour mesurer le « hardware », alors que l'essentiel de la valeur est dans le « software ».
Les grands agrégats perdent leur sens. Le PIB peine à estimer la valeur des services comme l'éducation ou les médias ; l'investissement ne prend pas en compte l'accumulation de capital organisationnel ; les exportations officielles sousestiment les ventes de services de nos multinationales. La statistique publique était faite pour mesurer l'industrie, elle est devenue en grande partie obsolète.
La protection de la propriété intellectuelle doit être assouplie. Dans le monde numérique, le progrès a lieu en emboîtant des couches successives de codes, partagées, recopiées et modifiées. C'est ce mode nouveau de partage de la connaissance qui explique la vitalité des logiciels « open source ». La fluidité de cette évolution demande qu'on déplace le curseur de la protection de la propriété intellectuelle, sous peine de ralentir le progrès. Le même problème se pose pour les plates-formes, qui en créant des monopoles intellectuels sur leur code peuvent réduire les bienfaits de la standardisation.
Enfin, les besoins de capital humain de l'économie ont fortement changé : un effort d'adaptation des formations est nécessaire. Plutôt que de chercher à se substituer aux machines, il faut apprendre à mieux travailler avec elles. La société post-industrielle a permis le développement de tout une gamme de métiers liés à la transmission et la fabrication d'information pure (journaliste, garagiste, médecin, conseiller financier, courtier d'assurance, etc.). Les rentes de ces professions, qui reposaient sur le cloisonnement des savoirs spécialisés, sont en train de tomber avec la diffusion d'Internet. Ces métiers doivent apprendre à combiner savoir-faire traditionnels et utilisation de l'informatique et des statistiques. Pour rester employable, il faudra savoir coder, c'est-à-dire parler la langue des machines.
Augustin Landier et David Thesmar
Augustin Landier est professeur de finance à la Toulouse School of Economics. David Thesmar est professeur à HEC. Ils sont les auteurs de « 10 Idées qui coulent la France », Flammarion 2013.
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