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Par Dominique Moïsi | 17/03 | 06:00
Par Dominique Moïsi | 17/03 | 06:00
Dans un monde interdépendant et en pleine uniformisation, les peuples recherchent leur « identité primaire » comme l'Ecosse ou la Catalogne. Jusqu'à la Russie qui fait, en ce début de siècle, son grand retour impérial.
Au British Museum à Londres, les foules se pressent pour voir l'exposition sur « Les Vikings » qui vient d'ouvrir. Les objets présentés - en particulier un drakkar royal long de 36 mètres - sont certes impressionnants. Mais la passion perceptible des visiteurs, va bien au-delà d'une simple curiosité historique ou artistique. Les Britanniques semblent tout simplement heureux de retrouver dans l'exposition, leurs ancêtres. Ils semblent animés par une quête identitaire qui repose pour partie au moins sur la réalité. Tout amateur de rugby, qui aurait vu le week-end dernier, l'affrontement entre l'Angleterre et le pays de Galles ne pouvait arriver qu'à la même conclusion : il y a bien du « sang Viking » en Grande-Bretagne, mais comme il en existe aujourd'hui encore, en Scandinavie, en Russie, en Ukraine sans parler du Nord-Ouest de la France.
En fait l'intérêt pour les « origines », favorisé par les progrès de la science - qui permet des recherches spectaculaires en matière d'ADN -, n'a fait que grandir au cours des dernières années. Plus les peuples sont mélangés, plus ils sont le produit de métissages, plus ils semblent désireux de s'inscrire dans une continuité historique, imaginaire ou réelle. Tout se passe comme si, ne sachant pas où nous allions dans un monde en plein bouleversement, nous voulions nous rassurer en quelque sorte par la connaissance d'où nous venions.
André Malraux, dans une de ces formules ampoulées et un peu vides, dont il avait le secret, avait conclu que « le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas » ! Ne serait-il pas plutôt celui des identités ?
Déjà au lendemain de la disparition de l'URSS, et devant l'implosion pacifique de la Tchécoslovaquie et celle violente de la Yougoslavie, le spécialiste des relations internationales, disciple de Raymond Aron, Pierre Hassner, s'inquiétait de ce qu'il appelait« le culte de la différence marginale ». Selon lui, mondialisation et fragmentation allaient de pair. La mondialisation entraînant une uniformisation et une interdépendance toujours plus grande, la tentation devenait irrésistible de dire avec force : « Je suis moi, je suis unique. » Une tendance qui pousse à la fragmentation avec l'affirmation des « identités primaires » au sein d'ensembles nationaux. Un processus qui affecta d'abord les nations issues d'empires, mais qui affecte désormais les Etats-nations eux-mêmes. Les Britanniques se considèrent peut-être tous, comme des descendants des Vikings. Cela n'empêche pas les Ecossais de revendiquer aujourd'hui leur indépendance et d'avoir obtenu de Londres la tenue d'un référendum en septembre prochain. Certes aujourd'hui, le résultat de cette consultation ne semble pas, d'après les derniers sondages, favoriser les tenants de l'indépendance. Mais il n'en demeure pas moins, qu'au moment où se présente pour la première fois depuis 1989 une menace réelle aux portes de l'Europe, avec le retour d'une Russie impériale « révisionniste », le risque de multiplication du nombre des Etats en Europe est bien réel, du Royaume (encore) Uni, à l'Espagne. A l'origine de ces revendications séparatistes, il y a toujours un mélange de cicatrices, d'un passé qui ne passe pas, de considérations économiques à court terme et de visions d'un futur vécu seul et idéalisé. « Vous m'avez humilié hier, mais je n'ai plus besoin de vous aujourd'hui. Je peux faire mieux, seul. »
Dans le cas de l'Ecosse, la défaite du dernier des Stuart, Bonnie Prince Charlie, à la bataille de Culloden en 1746, semble toujours douloureusement présente dans l'inconscient collectif de certains. Mais au-delà du passé, il y a bien sûr le présent. Forte de ses ressources énergétiques, gazières et pétrolières, l'Ecosse se rêve - les partisans de l'indépendance en tout cas - comme une nouvelle Norvège.
Ils considèrent également - à juste titre - que Londres ne leur a pas suffisamment dit à quel point le Royaume-Uni avait besoin de leur contribution. Les héritiers des « Lumières écossaises » - glorieuse période de la fin du XVIIIe siècle où des penseurs comme David Hume ont tant contribué au rayonnement de la pensée britannique - se sentiraient presque « vexés » devant cette « arrogance » typiquement anglaise. Il n'en demeure pas moins que Londres, contrairement à Madrid pour ce qui est de la Catalogne, a accepté le principe du référendum. Un comportement ouvert et démocratique qui fait honneur à la « mère de toutes les démocraties » et traduit une confiance en soi qui n'existe pas dans une Espagne, qui a connu une histoire plus tragique bien plus récemment. De plus, le système monarchique est affaibli en Espagne, alors même qu'il n'a jamais été plus solide en Grande-Bretagne. Il est plus facile de confronter la possibilité d'une fragmentation, avec une reine forte qu'un roi affaibli.
Le référendum écossais pourrait-il dans son principe même servir de modèle au reste de l'Europe à l'ouest comme à l'est du continent ? Ce qui se passe sous nos yeux en Crimée est en effet à tout point de vue un « anti-modèle ». Un référendum qui suit une prise de contrôle par la force armée, une redéfinition territoriale qui constitue la plus grave atteinte au principe du respect de l'intangibilité des frontières depuis peut-être la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La multiplication des entités étatiques constitue en réalité une très mauvaise réponse à la montée des revendications identitaires. Elle ne ferait qu'accroître les risques de paralysie. La priorité aujourd'hui est de renforcer le « hard power » de l'Europe. L'Ecosse et la Catalogne sont-elles prêtes à contribuer à l'effort de défense européen plus que ne le feraient la Grande-Bretagne et l'Espagne ?
Dominique
Moïsi
Dominique Moïsi, professeur au King's College de Londres, est conseiller spécial à l'Ifri.
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