jeudi 24 avril 2014

Très haut débit : le casse-tête pour les élus locaux

A lire sur: http://www.zdnet.fr/actualites/tres-haut-debit-le-casse-tete-pour-les-elus-locaux-39799979.htm

Dossier : Le plan décennal du gouvernement a beau sentir la planification centralisée à plein nez, le très haut débit (THD) est aussi, voire avant tout un problème local. Sauf que pour les élus locaux, l'épreuve est de taille.

Le plan décennal du gouvernement a beau sentir la planification centralisée à plein nez, le très haut débit (THD) est aussi, voire avant tout un problème local. La fracture numérique apparaît dans ce seul chiffre : selon une étude CSA de mars 2014, la couverture numérique est apparue comme le second sujet de préoccupation des communes de moins de 1.000 habitants.
Sur l’ensemble de la base interrogée par l’institut CSA, le sujet n’apparaît pourtant qu’à la 11e place, loin derrière la fiscalité ou la lutte contre la délinquance. Les moins bien servis apparaissent ainsi, sans surprise, comme les plus intéressés au déploiement de la couverture 3G, 4G et THD fixe.
Dans les zones les moins denses non conventionnées (43% de la population), souvent les plus mal couvertes à l’heure actuelle, les collectivités ont été désignées par la mission THD comme les principaux acteurs de l’aménagement numérique du territoire. Aux maires, conseillers généraux et régionaux, de s’y retrouver dans le fatras technologique du THD : FTTx, satellite, 4G « fixe », montée en débit sur cuivre ?
 
La ruralité ne veut pas rester en marge
Déployer le THD peut vite devenir un casse-tête pour les élus locaux, notamment dans les zones rurales où les moyens sont limités et les solutions plus coûteuses. C’est pourtant dans ces mêmes zones que la demande est la plus forte, comme le montre le sondage de l’institut CSA.
Pour autant, le numérique n'est pas toujours très bien traité par les candidats des plus petites communes. Le Social Nextwork, du think-tank Renaissance Numérique, s’est penché sur leurs promesses électorales grâce à son observatoire numérique des campagnes municipales lancé le 24 janvier dernier.
Le thème du THD est parfois oublié. Mais qu'ils veuillent diriger une grande ville (+ de 200 000 habitants) ou une petite (- de 50 000), les candidats aux élections locales abordant la question du numérique s'intéressent en priorité aux services, à l'équipement et à l'économie, thèmes que traverse le très haut débit.
Le très haut débit représenterait une aubaine, si l'on en croit Bruno Janet, directeur des relations avec les collectivités locales chez Orange, pour qui « le vrai changement du 21e siècle, c’est que le numérique est capable d’apporter une solution » au moins partielle à l'ensemble des problèmes politiques contemporains.
Orange publie même depuis quelques années son « livre numérique à l’usage des candidats aux municipales » qui, bien qu’il reste un outil marketing, vante les mérites du numérique et du THD pour tous. Car pour l'opérateur, il va sans dire que les services permis par l'usage du numérique passent eux aussi par une infrastructure de bon niveau.
Des maires inégaux face aux enjeux du THD
Dans la petite ville de Mauron en Bretagne, le THD a fait une entrée remarquée. La fibre, installée par le conseil général, est destinée à couvrir le parc d’activités professionnelles de la commune… Mais profitera au final aux 3.300 habitants - à une date cependant encore inconnue. « Un schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN) débuté en 2013 prévoit de desservir la quasi-totalité du territoire en THD », explique Isabelle Begard, directrice générale des services de la communauté de communes de Mauron en Brocéliande.
En réalité, les maires des communes rurales ne possèdent que très rarement un pouvoir décisionnaire sur les questions d’aménagement numérique du territoire. Antoine Darodes, directeur de la mission THD, le confesse : « Il est vrai que les mairies n’ont pas beaucoup de poids dans les nouveaux Réseaux d’Initiative Publique (RIP) ». Tout se joue donc à plus grande échelle, départementale ou régionale.
Gérard Poujade, maire réélu du Séquestre, commune de 1.500 habitants près d’Albi dans le Tarn, en a bien conscience :
« Aujourd’hui, nous avons un débit allant de 0.5 à 8 Mbps sur la commune grâce à l’ADSL. Mais pour ce qui est du THD, nous ne sommes maître d’œuvre de rien, de simples spectateurs. Comme nous faisons partie de la communauté d’agglomération de l’Albigeois nous avons les mains liées. Orange, qui doit s’occuper de nous connecter, nous a promis la fibre d’ici à 2020 seulement. Avant cette date, seules les plus grandes villes comme Albi et Castres [respectivement préfecture et sous-préfecture du département, NDLR] auront droit à la fibre. »
Heureusement des alternatives existent, comme le prouve non loin de là l’entreprise E-tera, basée à Albi. Cet opérateur télécom, né d’une initiative publique en mai 2000 après la concertation de plusieurs conseils généraux (Tarn, Tarn-et-Garonne, Gers, Lot) et de communautés d’agglomération (Grand Rodez, Pau-Pyrénées) est présent sur le marché en tant que FAI, comme simple exploitant ou en complément d’autres fournisseurs.
Selon sa responsable en communication Gisèle Delebarre, « E-tera intervient principalement sur des RIP en proposant du FTTH aux entreprises et aux particuliers. La différence réside dans notre positionnement sur des zones très rurales où les infrastructures, bien qu’ouvertes à tous les fournisseurs, n’attirent pas les acteurs majeurs du marché. Nous sommes donc plus complémentaires qu’en concurrence avec eux. »
Du côté de chez Orange, « les petits opérateurs sont nécessaires mais n’ont jamais fait la rentabilité d’un réseau » assène Bruno Janet. Une position qui n'est guère étonnante pour l'opérateur historique, principal investisseur dans la fibre optique du pays.

« Court-termisme » électoral ou investissement d’avenir
Toujours est-il que peu importe les opérateurs, la construction d’un réseau de fibre en zone non conventionnée est un investissement conséquent pour les collectivités, tant financièrement que stratégiquement. Antoine Darodes souligne le pragmatisme des élus locaux : « Il ne faut pas oublier qu’un élu pense à ses électeurs et ses élections. Et que, notamment sur ce sujet, quand vous faites plaisir à 95% de la population, c’est bien. Si on est obligé de bloquer un projet pour 95% de la population parce qu’on n’arrive pas à relier les 5% restants, ça ne parle pas bien [aux élus, NDLR]. »
 
Le facteur temps est aussi à prendre en compte, car la mise en place d’un réseau ne se compte pas en mandats électoraux. Pour Gisèle Delebarre, « il n’y a pas eu d’engouement particulier sur la fibre [à l’approche des municipales, NDLR] car ce sont des projets de longue haleine, certains ayant démarré depuis plus de 4 ans. C’est d’ailleurs à cette époque [les municipales de 2008, NDLR] que les collectivités, intercommunalités et départements notamment, ont eu une grosse prise de conscience face à l’intérêt du multimédia qui nécessite des débits toujours plus hauts. »
Même constat chez Orange. Pour Bruno Janet, « l’aménagement numérique du territoire, pour les élus, c’est de la très longue durée, ce n’est pas sur un mandat. Le vrai sujet ne porte pas sur ces élections municipales mais sur les prochains conseillers généraux [élections cantonales en mars 2015, NDLR]. Parce que les projets de montée en débit par exemple, sont majoritairement construits sur les appels d’offre des conseils généraux ».
La montée en débit, option alléchante sur le court terme 
La montée en débit ou VDSL2 (lire notre article Le THD en France, « mix » ou soupe technologique ?) peut d’ailleurs tenter certains élus locaux pour précipiter l’aménagement numérique de leur territoire et en récolter les fruits au scrutin suivant.
Coût inférieur à du FTTH, mise en place plus rapide, un bon moyen de montrer à ses électeurs des améliorations concrètes avant la fin de son mandat. Le directeur des relations avec les collectivités locales d’Orange atteste d’une recrudescence des demandes de montée en débit l’an dernier car « dans ces cas-là, la préoccupation des élus est d’être au rendez-vous ».
Il précise cependant que de tels cas d’opportunisme politique restent exceptionnels. « Il nous est arrivé à certains endroits de dire : « On ne peut pas faire l’offre PRM [offre de gros permettant la montée en débit à destination des collectivités, NDLR] car la fibre arrive dans deux ans. Oui, ça, ça nous est arrivé. Mais ce sont des cas marginaux. »
L’Arcep interdit en effet tout projet de montée en débit là où il est prévu une installation entièrement fibrée au cours des trois ans à venir. Pour un mandat municipal de six ans, cette règle limite en partie une démarche de montée en débit sur cuivre contre-productive à long terme.
Même si tous nos élus locaux n’ont pas pris conscience de l’enjeu représenté par le numérique, de nombreuses collectivités ont déjà fait preuve de leur montée en compétence en la matière. Il faut espérer que les bons élèves, tels que René Souchon (président du conseil régional d’Auvergne, en passe de devenir la première région de France 100% THD), servent d’exemple à leurs confrères.

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