lundi 12 décembre 2011

Déploiement du (Très) Haut Débit en zones rurales : le point de vue d'un expert


Le déploiement du haut et très haut débit en zone rurale, ce sont beaucoup de projets menés par des collectivités locales qui s'appuient sur l'expertise de consultants spécialisés. Interview de l'un d'entre eux, Michel Lebon.
Michel Lebon se définit lui-même comme « un consultant des villes installé à la campagne »  et aussi « défenseur des Causses perdus et d'une ruralité qui se bat » : il vit en effet depuis 4 ans dans le Lot, et son activité l'amène à sillonner le territoire pour intervenir sur des projets de raccordement à Internet de collectivités locales très variées.

Je l'ai rencontré pour la première fois en avril 2010 lors du Colloque de l'ARCEP sur la Neutralité du Net et il m'a semblé intéressant de recueillir le témoignage de cet homme de terrain, dont vous pouvez aussi lire le blog « (Très) Haut Débit et Ruralité »
Michel Lebon, quelle est exactement votre activité, et depuis quand l'exercez-vous ?
Bonjour, je suis « Consultant en Aménagement Numérique Territorial ». Je me suis positionné sur ce créneau depuis fin 2007, lors de mon installation dans le Lot...  J'ai créé mon « entreprise individuelle » (j'ai un statut de libéral) de conseil, dans ce département au tout début 2008. Naturellement, et avec un clin d’œil à  mon patronyme, je  présente mes activités sous la marque « LEBON-Conseil » :-)
Après un passage chez un opérateur local Wifi intervenant sur les zones blanches de l'ADSL en Midi-Pyrénées, je me suis « immergé » dans la problématique du Très Haut Débit sous ses aspects réglementaires, législatifs, économiques... en capitalisant sur mon approche des territoires ruraux du grand sud-ouest et des constats que j'avais pu faire sur le terrain : quasi-abandon de certains territoires par l'opérateur historique, dégroupage balbutiant, mauvais niveau de service des offres haut-débit pouvant aller jusqu'à une dégradation inacceptable du service téléphonique … et des lignes de cuivre support de celui-ci !
Ma fréquentation des colloques et autres Assises, dont RURALiTIC, le suivi attentif de la « montée en charge » de l'ARCEP en terme de production de documents supports, recommandations, décisions sur des sujets comme le FTTH, la Montée en Débit sur le cuivre, m'ont permis d'exprimer sur mon blog mes « prises de positions liées » et de « recouper » mon constat avec celui effectué par d'autres sur d'autres territoires que le Sud-Ouest...
L'installation du concept de SDAN (devenu SDTAN) c'est à dire de Schéma Directeur d'Aménagement du Territoire par la Loi dite Pintat « contre la fracture numérique » du 17 décembre 2009 a contribué à démultiplier mes missions de conseil, jusque là menées de façon autonome auprès de Communes et Communautés de Communes, notamment en position de « partenaire local » du groupement  de cabinets de conseils parisien E-RESO / Stratégic-Scout dans le cadre de schémas directeurs du Très Haut-Débit.
C'est ainsi que je suis intervenu et interviens encore, sur les SDTAN du Lot et de l'Aveyron, initiés par leurs Conseil Général et Fédération d’électricité respectifs, la Stratégie de Cohérence (SCoRAN) de la Région Languedoc-Roussillon puis son SDTAN.
Et, je tiens à le préciser, dans ces missions de conseil et assistance, les besoins de mes clients et le cadre en place (réglementaire, législatif) sont prioritaires par rapport à mes « états d’âmes et réflexions » au sujet de ce qui pourrait être fait différemment ou mieux, PNTHD en premier !

Pour vous qui êtes sur le terrain, quelles sont aujourd'hui les préoccupations des collectivités locales quant au déploiement d'Internet sur les territoires ?
Globalement, les préoccupations des Collectivités se placent sur différents plans :
  • « service » : disponibilité, cohérence, qualité de l'accès à Internet, ie en Haut-Débit aujourd'hui, à Très Haut Débit demain... et pour ce dernier, rares encore sont les collectivités que je rencontre, dans les « ruralités » où j'interviens, de niveau inférieur au Conseil Général (communautés de communes, communes) qui expriment des besoins forts de THD pour leurs entreprises, points de Service Public et résidentiels... Le plus souvent, ce sont des préoccupations de « Montée en Débit » sur leur territoire qui sont exprimées, même si de temps en temps on trouve un « visionnaire » qui comprend ou a intuité les avantages de la fibre (symétrie des débits, QoS, faible latence, « scalabilité »
  • « financement » : les collectivités territoriales ont souvent des budgets restreints ou soumis à des incertitudes, du moins l'affirment elles, en relation avec la crise, la réforme territoriale, la suppression de la Taxe Professionnelle, etc. Elles estiment que la part de l'état (via le FSN) est insuffisante au regard des montants à investir pour déployer le très haut débit, en FTTH, sur leurs territoires. Elles déplorent de ne pas avoir de certitudes sur le financement de leurs projets, au delà de la phase 1 de lancement (via le FSN), et focalisent sur l'absence d'information sur les modalités d'abondement du FANT qui en prendra le relais.
  • « économique » :au sens de la  préservation de l'économie de leurs territoires, de son développement.
  • « sociétal » : au sens de ne pas laisser se développer une fracture numérique :
    • entre ceux qui disposent et maîtrisent l'accès à Internet et ceux qui, déjà, ne peuvent pas y accéder soit parce que cela coûte trop cher, soit parce qu'Internet n'est pas accessible pour eux du fait de leur "distance au NRA"  ou parce qu'ils refusent telle ou telle technologie d'accès (radio, satellite, ...)
    • entre ceux qui vont disposer à l'horizon ~2015 d'un accès THD, et ceux qui resteront une décennie encore à Haut-Débit/
  • la « ligne conductrice » étant de ne pas fragmenter un peu plus leurs populations d' administrés sur des critères arbitraires : géographiques, techniques, financiers e de garantir une péréquation optimale de l'accès à Internet...
  • « existentiel » : versus la priorité octroyé aux opérateurs privés pour préempter leurs territoires, de fait sur les fractions les  plus rentables de ceux-ci, avec la sensation de ne plus être maître chez elles... en étant considérés comme des « supplétifs ». Le débat entre le président de l'ARCEP et celui de la région Aquitaine a d'ailleurs été très vif, avec des mots lourds lors des Assises du Numérique, en une forme d'affrontement entre Jacobins et... Girondins !
Remarque au passage : rares encore (la Gironde fait justement exception) sont les collectivités locales ayant la préoccupation de développer pro-activement les usages « résidentiels et service public » du Très Haut-Débit (au delà de comptabiliser et géoréférencer les sites publics et privés potentiellement consommateurs de Mbits/s dans la phase d'expression des besoins de leur SDTAN). Des programmes nationaux et régionaux existent, sur les thématiques Télétravail, Espaces de Médiations numériques (EPN, Cyberbases, PIMMs), mais restent pour l'instant encore au stade des intentions sur la télé-médecine, l'aide au maintien au domicile, la e-education...  Le THD est encore par trop assimilé à un accélérateur de consommation (et production pour les plus geeks) de flux vidéos, Haute Définition autant que possible...
Quelle est la situation dans votre département du Lot ?
Avec une densité de population de 33 habitants par hectare et 175.000 habitants, un « taux de ruralité » (au sens de la DATAR) qui amène le taux de subvention à la prise FTTH à 385 € (pour un maximum de 435 € - seule la Creuse fait mieux), et 5 centraux dégroupés parmi 126 (dont 2 seulement par 2 opérateurs), 61 sous-répartitions rendues non éligibles à l'ADSL, pour cause de gros MUX en transport... le département du Lot « part de loin »...
Certes, au vu du passif de « zones blanches », une majorité d'entre elles ont été traitées en Wifi dans le cadre des appels à projets de la Région Midi Pyrénées (marchés de travaux suivis de DSP en affermage, pour des communes, groupements de communes et/ou EPCI... avec subvention jusqu'à 60% du budget global des travaux).
Certes, l'opérateur historique a entrepris de travailler sur la résorption des « gros MUX » (8 ont déjà été neutralisés), et poursuit son effort d'opticalisation des petits NRA et de rénovation de portions de boucle locale en mauvais état : cuivre, protections surtensions, mises à la terre...
Par ailleurs, avant de décider de lancer son SDTAN, le département  avait engagé environ 9 M€ pour créer un réseau de fourreaux (2 axes nord-sud, 1 axe ouest-est), infrastructure support d'un futur réseau de collecte, dont seul celui allant de Cahors au sud de Brive est aujourd'hui équipée de fibres optiques (faisant appel à des IRU - location sur 20 ans de fibres prises chez E-Tera, Arteria, ASF). Objectif : apporter du Très Haut-Débit dans les principales zones d'activité et contribuer à accélérer le dégroupage.
Mais trop de communes sont encore desservies par un ADSL à faible débit, quand il ne s'agit pas de Re-ADSL, avec un débit descendant entre 380/420 Kbits/s et 2 Mbits/s... pas toujours disponible, « les jours de pluie et de vent » (sic) pour certains ! (voir mon blog).
Orange et SFR on signé récemment un « traité de Yalta du Très Haut Débit », se répartissant à 3/4 – 1/4  le raccordement de près de 10 millions de foyers. Est-ce une bonne nouvelle ?
Oui, pour les communes retenues (majoritairement celles des communautés de communes ou agglomérations « phares » de leur département (en dehors des éventuelles communes classées parmi les 148 laissées en pâture aux privés). Enfin, oui et non, parce que apprendre qu'on fait partie des zones d'AMII - Appel à manifestations d'intentions d'investissement - et découvrir qu'il faudra attendre 2016 pour voir se commencer le déploiement du THD ça refroidit quelque peu.Certes, cela va alléger leur « budget déploiement » d'autant, mais avec quelles garanties de « bon achèvement » ?!
Bref, les Collectivités auraient bien aimé avoir un rôle « plus égal » intégrant leurs priorités en terme d'Aménagement Numérique Territorial, dans ce processus de concertation « à venir » dans  le cadre des  Commissions Consultatives Régionales d'ANT... où elles vont partir pour négocier des aménagements et obtenir des garanties... et en direct pour celles qui disposent des ressources, humaines, financières nécessaires à conduire une négociation elles même avec leur Assistant Maître d'Ouvrage, afin de boucler leur SDTAN au plus vite et surtout déposer leur projet dans la foulée.
Par ailleurs, il importe de « décliner » l'accord, territoire par territoire... le « poids » en populations concernées par cet accord de co-investissement étant bien plus fort dans les départements les plus denses (ou les moins ruraux)… des zones moins denses ! Pour exemple à peine 23% des foyers lotois sont concernés par cet accord... On est loin du communiqué de satisfaction de l'ARCEP qui parle de 60% des foyers !! Le président de l'ARCEP vient certes, par 2 fois donc, devant les Sénateurs et lors du dernier GRACO, d'affirmer que les collectivités territoriales pouvaient toujours tenter l'option SIEG étendu aux zones d'AMII, permise par les directives de l'UE relatives aux aides d'état, mais il reste de mon point de vue à « homogénéiser leur cadre d'action» entre ce que dit l'UE, ce que la réglementation de l'ARCEP permet, et ce que l'état accepte de financer dans le cadre du Plan National THD.
En tout état de cause, ceci ne fait que rajouter une couche supplémentaire de « concertation » lourde, au périmètre des SDTAN, que les collectivités n'avaient pu anticiper lorsqu'elles se sont lancées et retenus leurs AMO, dans l'élaboration de ceux-ci.
Que pensez-vous de la réalisation de Patrick Darlot, maire de Saint Bresson, et des difficultés qu'il a rencontrées ?
D'abord je dis : chapeau !

Nous sommes typiquement là dans le schéma de la rencontre sur un territoire « sinistré de l'ADSL » entre un leader entouré d'une équipe de bénévoles avec le soutien d'un opérateur local « très agile », soutenu par une communauté de Wifistes ruraux (cherchez sur Google le concept de Rural Area Network …) qui fournit une réponse quasi immédiate en Do It Yourself aux attentes d'une commune...  et qui plus est à la hauteur du budget, forcément modeste de ce village.

Au delà de faire la genèse de cette situation, et d'en  rechercher les coupables... les deux questions qui se posent sont
  1. la pérennité de cette réalisation, conditionnée à mon humble avis à la longévité de l'équipe,
  2. la reproduction du modèle dans d'autres situations, sur d'autres sites !
On aura noté de plus à la lecture de votre billet l’engagement à garder un comportement responsable, auto-régulé, de chacun de la petite vingtaine d'abonnés de ce réseau... Qu'un  loup « netgoinfre » arrive dans cette bergerie... et c'est la « cata » ! Certes on peut le virer, résilier,  en espérant qu'il n'ait pas en plus un bon avocat...  C'est du vécu, et c'est d'ailleurs la stratégie qu'utilise un autre élu local du côté du Lauraguais !

Mais finalement si cela leur permet d'attendre les 5, 10 à 15 ans qui les séparent d'une hypothétique arrivée d'un conduit de collecte adapté, fibré, à une distance acceptable de Saint Bresson, ou d'un RIP gardois FTTH...
Car comme le dit P. Darlot, je les imagine capables de fibrer leur village comme des grands, de se constituer un PM (Point de mutualisation) activé avec un bon switch installé à la Mairie, et de replonger pour quelques années de plus avec un beau réseau AON (Active Optical Network) et leur AS (Autonomous System) et le « range d'adresses IP »  qui va avec, leur routeur BGP... etc etc... bien à eux !!! Le tout en priant que l'équipe reste en place, sinon se renouvelle... et en leur disant au passage qu'il ne leur faut pas rêver que Orange, Free, SFR viennent délivrer leurs services sur cette poche ! Mais comme ils en sont bien conscients...

Avez-vous connaissance d'exemples similaires et si oui lesquels ?
Saint Bresson n'est pas un « cas » isolé... Un tour sur la « liste RAN-Group » vous permettra de découvrir d'autres initiatives Wifi-libristes en Dordogne, en Bretagne (« Le Net du Kermeur »), ou plus près dans le Tarn avec « Carbodebit » à Carbes à proximité de Castres, ou encore à Ferrières où le réseau « déserté » par un opérateur local défaillant, a été repris en « régie municipale » avec une exploitation confiée à une compétence locale experte des solutions WIFI 2,4 GHz et 5,4 Ghz (avec la chance de l'avoir « à la maison »). Tous ont pour « point commun » un leader local, élu ou technicien, qui porte le projet !
Et la liste n'est pas exhaustive !! Il en existe d'autres … dont un en Lozère (Lafage Saint Julien et environs), dans la Saône et Loire et certainement plein d'autres qui ont répliqué les solutions documentées et partagées sur le net dans leur coin, sans bruit...

Est-il imaginable qu'un petit village s'occupe seul de son raccordement à Très Haut Débit en fibre optique ? Si oui, quelle serait pour vous la meilleure démarche ?
Question de fond à rajouter, de mon point  de vue à la « liste de courses » des points à intégrer au Plan National THD pour en sortir une Version 2. Ce modèle DIY, plus ou moins, est-il réplicable aux déploiements de « poches FTTH » à plus ou moins grande échelle comme d'autres l'ont fait à l'étranger (ville de Nuenen en Hollande... voir mon blog et celui de JM Billaut). Le concept de « barning »  étendu au FTTH et siglé B4RN (Barn for Rural Network) chez nos amis de l'autre côté de la Manche a-t-il un avenir chez nous ? L'idée est à creuser, avec un jeu de mot à peine voilé...

Personnellement je pousse les groupes de réflexion où je m'active pour que cette possibilité soit approfondie et accompagnée (professionnalisation des intervenants, formation, coopératives pour l'achat de matériel, normalisation de processus, règles d’ingénierie). Mais il est encore un peu tôt pour en parler...
Jean-Michel Billaut, que vous connaissez, participe au projet de raccordement en très haut débit de son village de Villiers le Mahieu, à 45 km à l'ouest de Paris. Connaissez-vous ce projet, et qu'en pensez-vous ?
Oui, je le connais. Mais le projet semble un peu s'engluer et se dénaturer par l'intervention de personnes qui n'étaient pas au démarrage du projet... Mais bon, cela peut se débloquer !

Il existe un petit opérateur, Wibox, positionné sur le haut débit en zones rurales : est-ce une alternative au « do it yourself » ? A-t-il selon vous  les moyens de ses ambitions ? 
Je connais bien son directeur, Thomas Gassilloud, également issu, au tout début, de la mouvance RANiste, avec un réseau du côté de Pomeys, dans les Monts du Lyonnais... et nous avons même fait un court chemin ensemble fin 2007/2008.

Wibox est multi-technologies (au sens des réseaux supports : WiMax, Wifi, DSL, FTTH) et s'appuie sur des infrastructures déployées par des tiers (à l'exception de la partie interconnexion Internet, pour laquelle j'ai cru comprendre qu'elle faisait appel à des partenaires, comme Lasotel) dont sa maison mère Altitude Infrastructure. Wibox a une politique commerciale très « active » sur le réseau FttH SIEA de l'AIN (où d'ailleurs Luxinet avait déployé ses premiers réseaux WIFI, en propre pour ce coup), sur les plaques expérimentales FTTH d'Aumont-Aubrac, Chevry-Cossigny..., sur des réseaux WIMAX déployés par Altitude Infrastructure I et d'autres « opérateurs aménageurs ».

Altitude Infrastructure est-elle prête à investir en dehors du cadre de délégations de service public ? Il faudrait interroger leurs dirigeants ! Serait-elle prête à accompagner/encadrer des initiatives locales en mode DIY ? Même réponse... Il y a un risque financier certain pour une entreprise ! A moins que ce risque soit « délégué » à Wibox directement ?

Un autre point est à considérer également : celui de la concentration, inévitable, des acteurs « FAI Locaux » Cet été par exemple Nomotech a racheté Numéo, et c'est aujourd'hui sous la marque Ozone que Nomotech intervient en position de FAI. Il y a un cap à dépasser de « seuil d'abonnés » pour que toute la chaîne de relation client et de déploiement / maintenance ne constitue pas un risque lourd, déjà de dégradation de la qualité du support client, ensuite financier. pour l'entreprise ! Surtout avec une vocation « nationale » affichée d'opérateur de la « ruralité ». Bref, à la question sur les « moyens de son ambition », je préfère répondre « joker » !

Vous avez participé à la consultation sur le plan « France Numérique 2020 » : quelles sont les grandes lignes de vos préconisations ?
Ma contribution a été essentiellement centrée sur l'axe 1, ie la thématique « Permettre à tous les français d'accéder aux réseaux numériques ».
En premier, j'ai voulu insister sur la composante « territoriale » de cette action, en rappelant que derrière les mots « France » et « tous les Français », il y a, au moins, deux grandes notions :
  • l'approche « population » :quel % de la population toutes catégories (d'âge, de culture, de formation, de niveau social...) confondues, ayant accès aux « réseaux numériques »,
  • l'approche « territoriale » : celle qui distingue les zones urbanisées et industrielles à forte densité de population des zones à faible densité de population d'une économie plus tirée par l'agriculture et le tourisme...
Sur cette base, en alternative à la ré-industrialisation, j'ai affirmé que le « numérique » permettrait d'envisager un certain rééquilibrage de ces deux niveaux de « fracture », par le potentiel de développement économique des territoires ruraux (repopulation, développement du « tertiaire ») par les activités de télétravail, de e-commerce et de façon connexe de services de proximité (distribution, commerce local, …). Et en guise de clin d’œil à mon ami Pierre Ygrié, j'ai cité une de ses interventions auprès d'élus :
« ce n'est pas l'attrait au Très Haut Débit des Lozériens (ou des Lotois pour ce qui me concerne) d'aujourd'hui qui me préoccupe, mais bien celui des Lozériens de demain » !!

Sinon, en premier, j'ai formulé 8 propositions, en deux documents (le premier est le seul en ligne sur le site France Numérique) dont certaines d'ailleurs recoupent le projet de loi Maurey / Leroy déposé au Sénat..., pour tenter de « tenir l'objectif 2025 »  d'une France à Très Haut Débit, propositions visant à la définition d'une Version 2 de ce PNTHD qui fait tant débat dans les colloques et milieux politiques :
  1. un choix clair, régionalisé et cadencé d'un seuil de « switch-off » Cuivre → Fibre Optique , intégré dans les SDTAN, rendus opposables, avec en corollaire un travail à mener  avec les acteurs du service universel de téléphonie, pour qu'il soit décliné dès que possible SUR la fibre !
  2. des modalités d’abondement du FANT enfin déterminées, et conséquence du point précédent, une taxe sur le cuivre, directement prélevée sur les revenus du « dégroupage » (les 9 €, avec une modulation fonction de l'avancée des déploiements fibre optique)
  3. la Compétence A.N.T. reconnue pour les C.T., introduite par la loi dans le C.G.C.T (L1425-2 ou 1425-3 à créer) et le C.P.C.E. avec description des droits et devoirs associés, dont le statut d'opérateur d'opérateur... et d'opérateur d'immeuble à l'échelon communal et EPCI,
  4. la « parité de priorité » reconnue aux C.T. versus les opérateurs privés sur les territoires « zones denses et zones d'AMII dans le cade de projets intégrés ou de SIEG, permettant ab initio de lancer des projets de RIP péréqués...
  5. un travail de normalisation portant sur les matériels et process industriels encadrés permettant d'envisager un déploiement des réseaux FTTH « par le bas » à l'initiative des communes dans le cadre de leurs PLU élargis ANT, dans une optique de réduction des coûts,
  6. un cadre de Montée en Débit sur le cuivre, strictement régulé, ne laissant pas la place comme aujourd'hui, à l'oligopole de l'ADSL pour  faire perdurer plus longtemps que de raison, le cuivre sur certains territoires, y compris des communes déclarées FTTH dans les  réponses à l'AMII, par substitution en THD cuivre, basé VDSL2 par exemple...
  7. en corollaire, un cadre de Montée en Débit sur le cuivre vraiment adapté à la ruralité, ciblée sur les sous-répartiteurs de petites tailles (< 150 lignes, y compris les sous-répartiteurs secondaires), pour éviter un recours « plus que de raison » aux technologies radio, ou pire satellitaires...
  8. à l'autre extrémité, la mise en œuvre des moyens ad hoc (législation, réglementation, régulation) permettant de garantir un « tarif de péréquation » de l'IP collecté, quelque soit le territoire.
A ces préconisations fortement orientées « infrastructures », j'ai recommandé de porter l'effort sur la « médiation numérique dans les territoires » (accompagnement des acteurs et de la profession, renforcement des infrastructures intégrant l'apport du THD) qui est/sera  de plus une solution pour la réduction de la fracture numérique sociale ET territoriale !

Avez-vous un message à faire passer à l'ARCEP, qui régule le secteur des télécoms, ou au ministre Eric Besson, en charge de ces dossiers ?
Le premier message est que l'on veuille bien dépasser le seuil de l'écoute polie des acteurs de la « société civile » porteurs d'une vision décalée par rapport à celle des grands acteurs ! Nous étions 3 de ce « profil », aux côtés des représentants des « grands » industriels, lors du tour de table organisé le 27/9 au Ministère, et la phase de concertation nous a oubliés ! Pour l'ARCEP cela veut dire être plus transparent dans les synthèses de « consultation des acteurs » et faire remonter les divergences d'opinion de façon claire. Le rapport au Parlement sur les coûts de la boucle cuivre est un contre-exemple de transparence alors que des réponses (Caisse des Dépôts, AVICCA, Numéricable…) avaient formulé des avis divergents de la position « jacobine » autorisée, en recommandant des solutions pour l’alimentation du FANT !
Ainsi, j'ai noté dans les 4 pages du document de synthèse France Numérique 2020, que seuls les points 10 à 13 traitent en moins de 10 lignes des aspects infrastructures et ANT... J'attends de voir si  un « How To », un document plus détaillé sera publié pour y découvrir l'ébauche du PNTHD v2 que nous sommes nombreux à réclamer, et qu'on ne vienne pas me sortir l'histoire du « train en marche qu'on n'arrête pas » ! J'ai noté aussi que les mots « médiation numérique » sont absents du document, l'axe  « réduction de la fracture numérique sociale » ayant même disparu ?!

Le second, c'est que l'on veuille bien descendre d'un cran, dans l'observation des territoires, en allant jusqu'au niveau de statistiques régionalisées (voire départementalisées) pour prendre en compte les disparités de couverture, services, classes de débit... en fixe comme en mobile ! Et ça, je l'ai dit en aparté au président Silicani lors du GRACO ! Ce serait une garantie de discours, avec un référentiel non contestable,  moins en écart avec ce que vivent au quotidien certains territoires comme l'a affirmé le sénateur Maurey dans son dernier rapport. Je note que le cahier des charges des licences 800 Mhz LT est une avancée sur ce point... nous verrons bien la régulation qui s'exercera !
Le troisième message, dédié à l'ARCEP, est de réfléchir, au delà des données statistiques déconcentrées (tiens au fait, j'ai posé la question de l'open-data et des télécoms au GRACO !), à ce que l'ARCEP fasse descendre ses équipes dans les CCRANT ou les préfectures de région voire des collectivités de niveau conseil généralou communautés d'agglomération, au démarrage de leur carrière, pour une bonne prise de conscience initiale que « tout n'est pas comme à Paris » ... Je pense que cela serait formateur et éviterait bien des blocages dogmatiques que je rencontre : la montée en débit est un dossier remarquable de ce point de vue.

Au delà, j'ai plein de « Mind the Gaps » mais mon blog en est le recueil et reflet !

http://www.zdnet.fr/blogs/infra-net/deploiement-du-tres-haut-debit-en-zones-rurales-le-point-de-vue-d-un-expert-39766404.htm#xtor=EPR-100

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