Pour le poète la Terre est bleue comme une
orange. Pour le technophile, le monde a la forme d'une pomme d'un gris
chromé autour de laquelle gravitent les autres composantes de la galaxie
numérique... Du moins, c'est ainsi que l'univers de l'informatique
semblait tourner jusqu'à l'annonce de la démission de Steve Jobs de son
poste de patron d'Apple alors qu'il était déjà très affaibli par la
maladie. Décrit comme un génie qui a su révolutionner la manière de
penser et de vivre l'informatique, Steve Jobs, dont la biographie vient
de sortir aux Etats-Unis, semble indéfectiblement associé à la marque
qu'il avait créée à la fin des années 1970.
Mais
après son départ d'Apple puis sa disparition, la véritable
problématique se trouve davantage dans la réciproque à cette
affirmation : La vie d'Apple est-elle inexorablement liée à la présence
de Steve Jobs à la tête de l'entreprise ? La question taraude le
milieu : la révolution autour de la planète Apple peut-elle continuer
sans et après Steve Jobs ? Va-t-on devoir entièrement repenser la
théorie de l'Apple-centrisme ? Si l'on se fie à l'épisode des années
1990, on peut penser que oui car l'on a vite fait d'associer la
traversée du désert qu'a connue Apple après le départ de son fondateur
en 1985. Pourtant, si Steve Jobs était Apple, Apple, de son côté, n'est
pas que Steve Jobs.
On a beaucoup parlé
du « personal branding » autour du fondateur d'Apple, souvent dépeint
comme un dieu mythique, naturellement érigé en icône... le prenant ainsi
pour ce qu'il n'était pas. Steve Jobs n'était qu'un disciple -le plus
prosélyte, peut-être -de la religion prêchée par Apple. Il n'était qu'un
membre -le plus éminent, peut-être -de la fameuse « communauté » Apple.
La réalité, c'est qu'Apple est aujourd'hui fédéré non pas seulement
autour d'un homme et de son parcours entrepreneurial, mais qu'il l'est
aussi autour d'une culture de marque que Steve Jobs n'a jamais voulu
incarner à lui seul, trop conscient qu'il était sans doute des risques
liés à la personnification de l'entreprise et de l'inexorable finitude
qui nous guette. Il ne fait alors presque aucun doute qu'Apple
continuera de graviter sans lui. Et le marketing déployé par Apple
depuis de nombreuses années y est pour beaucoup. Car il existe dans ce
marketing, aussi mystérieux qu'astucieux, des ficelles qu'il ne faudrait
pas oublier -à commencer par la ficelle communautaire.
Le
marketing d'Apple, ce n'est pas tant le « personal branding » que le
« consumer branding ». Pour Apple, l'essence de la marque, c'est nous
- nous, nos habitudes, nos attentes. Apple n'a jamais cessé de proposer
des expériences en totale adéquation avec les besoins du grand public...
Un ordinateur qui s'allume en un clic, un appareil électronique qui
reste esthétique et ergonomique, un boîtier qui tient dans la poche et
qui permet de stocker des milliers de titres... C'est ainsi qu'Apple a
créé sa « communauté » qu'il n'a cessé d'animer et de captiver... C'est
le cercle vertueux du « consumer branding » : mis au coeur de la
stratégie de marque, le client place à son tour la marque au coeur de
ses centres d'intérêt.
Ce défi, relevé
par Apple depuis de nombreuses années déjà, c'est le pari auquel sont
aujourd'hui confrontées toutes les entreprises à l'heure où le succès
d'un concept ne tient pas tant à son inventeur qu'à ceux qui y
adhèrent... Avec les espaces et les flux digitaux, qui sont autant
d'espaces d'interaction avec le public, l'individu et la communauté à
laquelle il appartient sont devenus prescripteurs. A l'heure où plus
d'une personne sur deux se dit épuisée par la publicité et pourrait
bientôt décider d'y devenir hermétique, il est nécessaire pour les
entreprises de « faire entendre » leur marque. Communiquer, c'est aussi
savoir se taire ou ne parler qu'à certains moments et dans certains
endroits pour être entendu par qui doit vous entendre. Communiquer, ce
n'est pas seulement parler soi-même, c'est aussi réussir à faire que les
autres parlent de vous. Les stratégies de communication de l'intrusion
doivent donc laisser place à des stratégies de communication de
l'attention... Une attention portée à des consommateurs et à leurs
centres d'intérêt -dont on a aujourd'hui une idée très claire grâce à
l'ouverture des données -pour qu'à leur tour, ils tournent leur
attention vers vous. C'est ce qu'avait réussi à faire « Steve » pour que
l'entreprise continue même après son « grand départ ».
Manuel Diaz est président de Emakina.frhttp://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0201710287742-ce-que-steve-jobs-avait-compris-239377.php?xtor=EPR-1500-[idees_debats]-20111026-[s=461370_n=9_c=907_]-409905656@1
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