A lire sur: http://www.lesechos.fr/03/10/2013/LesEchos/21535-047-ECH_l-universite-francaise-ne-doit-pas-rater-la-revolution-numerique.htm
Les Echos n° 21535 du 03 Octobre 2013 • page 11
de Gilles Babinet et Guy Mamou-Mani
MOOC
(« Massive Online Open Courses », littéralement « cours en ligne
massifs et ouverts ») : ces initiales représentent une révolution sans
pareille dans l'enseignement ! En un an, environ 5 millions d'étudiants
dans le monde ont suivi plus de 350 cours en ligne gratuits
d'universités prestigieuses, essentiellement américaines. Cette
révolution est à la fois un enjeu éducatif et culturel, mais aussi
économique. Permettre aux universités françaises d'accéder à cette
révolution est donc un enjeu politique.
Les MOOC proposent des
cours conçus en modules courts, enrichis pour une diffusion sur
Internet, avec une plus-value éducative sans commune mesure avec les
cours magistraux filmés que nous connaissons déjà. Ils peuvent être
utilisés pour l'obtention d'un certificat, pour une réorientation
professionnelle ou par simple intérêt personnel. En cela, ils
élargissent la mission universitaire au plus grand nombre et constituent
un levier majeur de la démocratisation du savoir. Ils marquent une
étape majeure vers la transition de l'humanité vers la Société de la
Connaissance.
En France, l'organisation
d'une filière e-Educative parmi les 34 plans industriels, annoncés par
le président de la République récemment, est à même de consolider
l'émergence d'une offre française compétitive et de qualité. De nombreux
acteurs, start-up et grands groupes industriels y travaillent. Ils
attendaient de connaître les propositions de la ministre de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche en matière de collaboration,
de partenariat et de projets avec le monde universitaire. Quelle ne fut
pas leur surprise d'apprendre qu'une solution intégrée a été finalement
retenue, développée verticalement, avec le support de l'Inria,
l'Institut national de recherche en informatique !
Il y a lieu de s'inquiéter
d'une telle décision. En effet, même aux Etats-Unis, pays leader s'il en
est dans cette révolution éducative, aucune université américaine n'a
pris le risque de se lancer seule dans une telle aventure. Et même si
beaucoup d'entre elles en ont les moyens, toutes ont choisi de
s'associer avec des start-up spécialisées dans l'ingénierie pédagogique,
et développant des plates-formes recelant des trésors d'ingéniosité.
Cette logique pose la question de la soutenabilité des MOOC « à la française ».
Au-delà du choix de la méthode de développement de la plate-forme, les
enjeux en matière de coût de production des cours, de formation des
enseignants, d'évolution des cadres statutaires pour prendre en compte
l'évolution de leur métier, ainsi que les enjeux concernant les droits
d'auteur doivent être abordés de façon sérieuse, éventuellement au
travers d'un débat national.
Il ne s'agit pas d'affirmer
ici, par dogmatisme, une quelconque suprématie naturelle des acteurs du
privé par rapport à ceux du public; ni encore de défendre, de façon
corporatiste, des intérêts particuliers. Simplement, dans un contexte où
tout reste à imaginer, où l'innovation pédagogique, technologique et
des usages pourrait faire la différence, force est de reconnaître que
les innovateurs de rupture - les start-up -, sont incomparablement plus
efficaces que les acteurs institutionnels.
Ce n'est pas l'Etat
américain qui a inventé les MOOC, c'est une start-up fondée par un
ancien professeur de Stanford. Et la plus grande plate-forme - qui est
probablement jugée la plus fonctionnelle - n'est pas celle de Harvard,
mais celle de Coursera, une start-up indépendante de toute institution.
La qualité de
l'enseignement français, son accessibilité, sa valeur et sa réputation
pourraient en pâtir de façon extrêmement cruelle, et en quelques années
seulement, de choix hasardeux. L'université française court le risque de
perdre son pouvoir d'attraction auprès des étudiants, alors que
l'enseignement supérieur de qualité fait l'objet d'une compétition
mondiale.
Il est encore temps de
changer de logiciel, de reconnaître que l'enjeu dépasse largement la
réflexion d'alcôve, aussi bien intentionnée qu'elle puisse être. Il en
va de la capacité de notre système d'enseignement de continuer à
rayonner, à faire en sorte que la France, son esprit, ses valeurs
culturelles et scientifiques puissent continuer à se développer dans un
monde ouvert, interactif et assoiffé de connaissances.
Gilles Babinet Guy Mamou-Mani
Gilles Babinet, entrepreneur, est « Digital champion
», responsable des enjeux numériques pour la France auprès de la
Commission européenne. Guy Mamou-Mani est président de Syntec Numérique
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