mercredi 9 octobre 2013

L'université française ne doit pas rater la révolution numérique

A lire sur:  http://www.lesechos.fr/03/10/2013/LesEchos/21535-047-ECH_l-universite-francaise-ne-doit-pas-rater-la-revolution-numerique.htm

de Gilles Babinet et Guy Mamou-Mani
 
Les Echos n° 21535 du 03 Octobre 2013 • page 11
MOOC (« Massive Online Open Courses », littéralement « cours en ligne massifs et ouverts ») : ces initiales représentent une révolution sans pareille dans l'enseignement ! En un an, environ 5 millions d'étudiants dans le monde ont suivi plus de 350 cours en ligne gratuits d'universités prestigieuses, essentiellement américaines. Cette révolution est à la fois un enjeu éducatif et culturel, mais aussi économique. Permettre aux universités françaises d'accéder à cette révolution est donc un enjeu politique.
Les MOOC proposent des cours conçus en modules courts, enrichis pour une diffusion sur Internet, avec une plus-value éducative sans commune mesure avec les cours magistraux filmés que nous connaissons déjà. Ils peuvent être utilisés pour l'obtention d'un certificat, pour une réorientation professionnelle ou par simple intérêt personnel. En cela, ils élargissent la mission universitaire au plus grand nombre et constituent un levier majeur de la démocratisation du savoir. Ils marquent une étape majeure vers la transition de l'humanité vers la Société de la Connaissance.
En France, l'organisation d'une filière e-Educative parmi les 34 plans industriels, annoncés par le président de la République récemment, est à même de consolider l'émergence d'une offre française compétitive et de qualité. De nombreux acteurs, start-up et grands groupes industriels y travaillent. Ils attendaient de connaître les propositions de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en matière de collaboration, de partenariat et de projets avec le monde universitaire. Quelle ne fut pas leur surprise d'apprendre qu'une solution intégrée a été finalement retenue, développée verticalement, avec le support de l'Inria, l'Institut national de recherche en informatique !
Il y a lieu de s'inquiéter d'une telle décision. En effet, même aux Etats-Unis, pays leader s'il en est dans cette révolution éducative, aucune université américaine n'a pris le risque de se lancer seule dans une telle aventure. Et même si beaucoup d'entre elles en ont les moyens, toutes ont choisi de s'associer avec des start-up spécialisées dans l'ingénierie pédagogique, et développant des plates-formes recelant des trésors d'ingéniosité.
Cette logique pose la question de la soutenabilité des MOOC « à la française ». Au-delà du choix de la méthode de développement de la plate-forme, les enjeux en matière de coût de production des cours, de formation des enseignants, d'évolution des cadres statutaires pour prendre en compte l'évolution de leur métier, ainsi que les enjeux concernant les droits d'auteur doivent être abordés de façon sérieuse, éventuellement au travers d'un débat national.
Il ne s'agit pas d'affirmer ici, par dogmatisme, une quelconque suprématie naturelle des acteurs du privé par rapport à ceux du public; ni encore de défendre, de façon corporatiste, des intérêts particuliers. Simplement, dans un contexte où tout reste à imaginer, où l'innovation pédagogique, technologique et des usages pourrait faire la différence, force est de reconnaître que les innovateurs de rupture - les start-up -, sont incomparablement plus efficaces que les acteurs institutionnels.
Ce n'est pas l'Etat américain qui a inventé les MOOC, c'est une start-up fondée par un ancien professeur de Stanford. Et la plus grande plate-forme - qui est probablement jugée la plus fonctionnelle - n'est pas celle de Harvard, mais celle de Coursera, une start-up indépendante de toute institution.
La qualité de l'enseignement français, son accessibilité, sa valeur et sa réputation pourraient en pâtir de façon extrêmement cruelle, et en quelques années seulement, de choix hasardeux. L'université française court le risque de perdre son pouvoir d'attraction auprès des étudiants, alors que l'enseignement supérieur de qualité fait l'objet d'une compétition mondiale.
Il est encore temps de changer de logiciel, de reconnaître que l'enjeu dépasse largement la réflexion d'alcôve, aussi bien intentionnée qu'elle puisse être. Il en va de la capacité de notre système d'enseignement de continuer à rayonner, à faire en sorte que la France, son esprit, ses valeurs culturelles et scientifiques puissent continuer à se développer dans un monde ouvert, interactif et assoiffé de connaissances.

Gilles Babinet, entrepreneur, est « Digital champion », responsable des enjeux numériques pour la France auprès de la Commission européenne. Guy Mamou-Mani est président de Syntec Numérique

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