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Confrontés à l'arrivée des « corsaires » de la Toile, les acteurs traditionnels demandent que leurs pratiques soient encadrées.
En répondant trop à leurs attentes, les pouvoirs publics se priveraient du souffle qu'Internet pourrait donner à la croissance et à la création d'emplois.
Par Nathalie Silbert Journaliste au service Enquêtes des « Echos »
Sous la pression du numérique, des activités jusqu'à présent protégées de la concurrence vont devoir s'adapter. Pour encadrer cette mutation, il revient aux pouvoirs publics de fixer les nouvelles règles du jeu.
Jacques
Attali en 2008 et, bien avant lui, Louis Armand et Jacques Rueff,
auteurs du célèbre rapport « pour la suppression des obstacles à
l'expansion économique » remis en 1960, en avaient rêvé. Internet est en
train de le faire. L'avènement de la société numérique est en passe de
déverrouiller des professions qui, dans le monde physique, avaient ancré
leurs positions en se protégeant derrière des barrières à l'entrée.
Omniprésent depuis des années dans le secteur des médias, du commerce ou
du voyage, Internet gagne en effet des secteurs préservés jusqu'alors
de la concurrence par des réglementations ou des restrictions comme les
taxis, les pharmaciens, les opticiens, les agences matrimoniales, etc.
Si l'impact de ce mouvement est pour l'instant limité, personne n'est
dupe. Sous la pression du numérique, les contours de ces activités vont
évoluer. Et il revient aux pouvoirs publics, pris en tenaille entre la
volonté de satisfaire le consommateur, de créer des emplois et le lobby
des acteurs traditionnels, de prendre position.
De
fait, Internet change la donne. Tout d'abord, il fait sauter les
verrous à l'entrée en permettant l'arrivée de nouveaux acteurs. Les
taxis, dont le nombre en circulation est limité par les attributions de
licences (celles-ci relevant des maires ou du préfet de police)
assistent ainsi à l'émergence d'une nouvelle catégorie d'acteurs roulant
sur leur plates-bandes - les voitures de tourisme avec chauffeur, les
VTC que l'on peut réserver et régler en ligne. Un service favorisé par
l'explosion des smartphones et de la géolocalisation. L'optique - déjà
concurrentielle avec plus de 23.500 boutiques, quoique protégée par des
exigences de formation professionnelle - a pour sa part vu débarquer des
« pure players » comme le groupe Sensee.
Ensuite,
avec Internet, la zone de chalandise, s'affranchissant de la proximité,
s'étend a minima à l'Hexagone. Pour les opticiens ou pour les
pharmaciens, soumis à des restrictions d'installation (une officine pour
2.500 ou 3.000 habitants), cela représente l'opportunité de trouver de
nouveaux débouchés surtout pour ceux installés dans des zones rurales
touchées par la désertification. A l'inverse, le consommateur français
peut aussi commander ses médicaments en ligne sur un site allemand à
condition qu'il respecte la réglementation en vigueur en France.
Pour
le consommateur, l'irruption de la Toile doit se traduire par une
amélioration du service en créant une offre nouvelle, plus diversifiée
et mieux adaptée à ses besoins. Par exemple, le développement des VTC
vise à pallier la pénurie de voitures aux heures de pointe. Cette
concurrence doit amener les acteurs traditionnels à se moderniser et
même, dans certains secteurs, à faire baisser les prix. Scénario validé
récemment par la Cour des comptes pour le marché de l'optique. C'est
déjà le cas concernant le segment des lentilles de contact, sur lequel
le groupe Internet Sensee (lentillesmoinscher) estime avoir fait baisser
les prix de 30 %. Et son actionnaire majoritaire, Marc Simoncini,
estime pouvoir diviser par deux ceux des lunettes grâce au Web.
Confrontés
à l'arrivée des corsaires de la Toile, souvent imposée d'ailleurs par
des directives européennes, les acteurs traditionnels demandent que
leurs pratiques soient encadrées .
Ainsi,
pour rétablir une concurrence équitable, disent-ils, les taxis
voudraient imposer aux VTC un délai - de quinze minutes, voire plus -
avant de prendre en charge le client. Au nom de la santé publique, les
pharmaciens ont, eux, obtenu que seules les officines ayant pignon sur
rue et agréées par l'Agence régionale de santé puissent ouvrir un site
Internet. En l'état, la réglementation est toutefois moins stricte
qu'ils ne l'espéraient. Entre autres, leur exigence que les prix sur la
Toile soient alignés sur ceux pratiqués en officine a été rejetée.
En
encadrant les acteurs du Web, les professionnels espèrent amortir le
choc de la dérégulation entraînée par le numérique. Pour autant, le Net
va inévitablement bousculer leur activité. A regarder ce qui se passe à
l'étranger, cela pourrait certes prendre du temps pour la pharmacie. En
Belgique, où la vente à distance de médicaments est autorisée depuis
2009, seules 184 officines avaient, selon l'Association des pharmaciens
indépendantsbelges, notifié en avril 2013 la création d'un site en
ligne. En revanche, sur le marché des lentilles de contact, le
basculement est beaucoup plus rapide : la vente à distance dépasse déjà
10 % des ventes en volume en France. Enfin, tout le monde a en mémoire
le cas extrême du site de rencontres Meetic qui a tué le courtage
matrimonial.
Face à cette nouvelle
donne, les pouvoirs publics hésitent. Pour eux, il s'agit d'assurer la
protection du consommateur en encadrant les nouvelles offres en ligne.
Pour ce faire, ils ont jusqu'à présent surtout choisi de dupliquer dans
le numérique les règles en vigueur dans le monde physique. Cette
politique présente toutefois un double risque. Le premier est que cet
encadrement soit insuffisant. Ne serait-ce que parce que, à partir du
moment où le numérique s'invite dans un secteur, il est exposé au
piratage et à la contrefaçon. Or les contrôles sur la Toile sont
difficiles. L'autre écueil est que, en se contentant de répondre aux
attentes des acteurs traditionnels, les pouvoirs publics se privent du
souffle qu'Internet pourrait donner à l'innovation, à la croissance et à
la création d'emplois tant attendues.
Nathalie Silbert
Les points à retenir
Omniprésent
depuis des années dans le secteur des médias, du commerce ou du voyage,
Internet gagne des professions protégées jusqu'à présent par
des réglementations, comme les taxis, les pharmaciens ou les opticiens.Confrontés à l'arrivée des « corsaires » de la Toile, les acteurs traditionnels demandent que leurs pratiques soient encadrées.
En répondant trop à leurs attentes, les pouvoirs publics se priveraient du souffle qu'Internet pourrait donner à la croissance et à la création d'emplois.
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