A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0203035499702-l-europe-doit-reprendre-la-main-sur-les-normes-comptables-614175.php
La normalisation comptable est sans doute un des
rares sujets du domaine de la comptabilité qui a pu atteindre les
cercles du débat politique, voire bénéficier d'une certaine aura
médiatique. Ce succès d'une matière pourtant aride se confirme avec la
relance du débat sur les marges de manoeuvre européennes par rapport au
normalisateur international (l'IASB), grâce au rapport présenté cet été sous les auspices du Medef et de l'Afep par Michel Pébereau.
Fidèle
à une ligne de conduite qui l'avait fait alerter, dès 2005, le
président Chirac et la Commission européenne sur les écueils d'une
adoption sans nuance des normes IFRS,
le référentiel comptable international, M. Pébereau tire un bilan de
cinq années d'application post-crise financière de ces règles en Europe.
S'il conclut à l'intérêt que représente pour nos entreprises la
convergence vers des normes communes au niveau international, il fait
aussi le constat que cette convergence ne doit pas se faire sans laisser
la parole à l'Europe, alors que les autres grandes zones économiques
internationales conservent leur liberté de choix, par rapport à l'IASB.
Ce
diagnostic lucide et courageux rejoint celui avancé par plusieurs
institutions depuis quelques mois, tout particulièrement celui du centre
des professions financières, qui en a fait l'un des thèmes de son
colloque du 27 juin 2013. Il nous incite à nous poser une question
délicate : tout abandon de souveraineté est-il inéluctable ? L'Europe
doit-elle définitivement renoncer à mettre en oeuvre des normes comptables prenant en compte ses intérêts propres ?
L'union
européenne doit d'abord se mettre elle-même en ordre de bataille,
c'est-à-dire rendre sa dimension politique à un sujet jusqu'alors
considéré comme essentiellement technique. Cela signifie notamment se
doter des instruments juridiques (un règlement européen) qui permette
d'adapter aux besoins des entreprises européennes les normes
internationales, tout en respectant l'esprit et la finalité du corpus
global.
Cela réalisé, l'Europe pourra,
avec une efficacité renforcée, peser davantage sur le normalisateur
international, c'est-à-dire l'IASB. L'Europe doit remonter au créneau
pour voir reconnu son poids spécifique au sein de l'institution. Cela
passe en particulier par l'adjonction de nouveaux administrateurs
européens au board. Au-delà de l'organisation institutionnelle, c'est
d'abord sur le processus d'élaboration de la doctrine de l'IASB que
l'Europe doit faire valoir ses convictions. Dès lors, de politique, le
sujet redevient technique, mais ô combien sensible : la conception des
normes comptables se fonde en effet largement sur un référentiel de
valeurs communes, le « cadre conceptuel ». Celui-ci doit être rénové en
profondeur pour prendre en compte les évolutions intervenues depuis les
années 1970. En d'autres termes, la doctrine comptable internationale
doit cesser d'être univoque, destinée à satisfaire les investisseurs en
se fondant sur la seule valorisation par le prix de marché, la trompeuse
« fair value ». Elle doit véritablement prendre en compte toutes les
parties prenantes (salariés, pouvoirs publics, investisseurs de long
terme) et tous les enjeux : la valeur réelle d'une entreprise et sa
pérennité ne se résument pas à relever une cotation sur les marchés
chaque 31 décembre.
A mesure que les
années sombres de 2007-2008 s'éloignent de nos esprits, les
comportements tendent à revenir à leurs habitudes antérieures. Il faut
retrouver un chemin aussi vertueux que possible et acceptable pour le
plus grand nombre. En quelque sorte, c'est pour mieux servir le
multilatéralisme et l'ouverture des échanges internationaux que l'Europe
doit reprendre son destin comptable en main.
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