A lire sur: http://www.pcinpact.com/news/80826-tout-pc-inpact-en-illimite-chez-sfr-avenir-dun-net-sans-neutralite.htm
La mise en œuvre de ce principe, non écrit mais assez largement partagé par les parties prenantes, se trouve en pratique confrontée à des contraintes diverses, comme le fait de devoir se prémunir contre les attaques sur le réseau, de faire face à une congestion, de mettre en place des mécanismes répondant à des obligations légales… Tout ceci conduit l’Autorité à apprécier le principe de neutralité de l’internet et des réseaux de manière pragmatique et raisonnable. »
Et si le pire était déjà en train d'arriver ?
Si la neutralité du net est un sujet qui préoccupe tous les acteurs du Web depuis de nombreuses années, les choses semblent s'accélérer ces derniers mois. Entre le jugement de la Cour d'appel aux USA favorable à Verizon, les pratiques des opérateurs et plus spécialement d'Orange en France, l'offre de RED de SFR qui propose YouTube en illimité et la réglementation qui avance lentement... tout semble nous diriger vers la fin d'un concept qui fait pourtant d'Internet ce qu'il est aujourd'hui.
« Bordeaux, le 5 mai 2017 — PC INpact et SFR sont heureux d'annoncer leur partenariat qui portera sur la fourniture d'un abonnement à l'ensemble des clients de celui qui est devenu en quelques années l'acteur majeur de la téléphonie mobile et de l'accès à internet en France, notamment grâce à la fourniture d'un accès illimité aux sites et services les plus populaires : Netflix et YouTube pour la vidéo, SoundCloud et Spotify pour la musique, Facebook et Instagram pour les échanges sociaux, etc.
Une tendance suivie par ses nombreux concurrents, mais avec plusieurs mois de retard. La fin programmée du « Fair Use », depuis l'arrivée de la 4G en France et à l'heure de la 5G, a impliqué l'émergence d'un besoin d'accès illimité aux contenus et à l'information par des utilisateurs qui n'en pouvaient plus d'être bridés à ces quelques gigaoctets que l'on voulait bien mettre à leur disposition chaque mois. Grâce aux partenariats noués avec les grands acteurs du Net, celui qui est devenu le premier fournisseur d'accès à internet du pays a réussi à constituer le premier réseau selon les derniers relevés du CSA.
Il s'est donc attaqué aux partenariats avec les sites d'informations en ligne en proposant un accès illimité à ses partenaires historiques, puis à ceux qui ont décidé de rejoindre cette initiative. Au gré des chutes d'audiences, les derniers récalcitrants ont un à un décidé de faire partie de cette offre qui implique un accès illimité. PC INpact fait finalement de même et offrira un accès à l'ensemble de ses contenus gratuitement à tous les abonnés de SFR. En échange les clients de l'opérateur ne verront plus leurs visites sur le site décomptées de leur quota mensuel. »
C'est par ces quelques mots que pourrait commencer l'un des pires communiqués de presse qu'un site comme PC INpact, ou n'importe quel autre, pourrait être amené à envoyer à ses confrères. Et pourtant, une telle pratique devient désormais une réalité en France puisque SFR propose avec son offre RED un accès illimité à YouTube, non décompté du quota de l'utilisateur lorsqu'il est en 4G. Mais comme son réseau 4G n'est pas encore assez étoffé, il le fait aussi pour le moment en 3G.
Une pratique commerciale qui pourrait mener à l'ouverture définitive d'une boîte de Pandore qui est au cœur de multiples enjeux depuis de nombreuses années, et dont plusieurs de nos opérateurs nationaux rêvent de profiter.
La neutralité du net a-t-elle déjà existé dans le monde du mobile ?
Car il faut bien l'avouer, avant l'arrivée de Free, les restrictions étaient nombreuses au sein des offres mobiles. On se souvient en effet de celles qui promettaient un accès internet illimité mais qui bloquaient certains ports ou certains usages comme la VoIP, les newsgroups, le mode modem, etc. Il n'est en effet pas si loin, le temps où il fallait se battre pour avoir le droit d'accéder à nos emails comme bon nous semble. C'était par exemple le cas en 2008, avec les célèbres Illimythics de SFR. Pire, il a parfois été question, même encore récemment, de modification des pages ou d'ajout automatique d'une signature en bas de vos emails.
Lorsqu'il est arrivé sur le marché, le quatrième opérateur affichait une offre qui se voulait assez libre de ce point de vue, et il n'interdit finalement qu'une chose : utiliser votre carte SIM dans un autre appareil qu'un téléphone ou une tablette. D'autres l'ont suivi, mais certaines restrictions sont encore actives chez certains comme nous l'évoquions récemment.
Mais dans tous ces cas, c'était un protocole ou un usage qui était visé, avec le plus souvent pour raison officielle le maintien de la qualité du réseau. Aucune distinction n'était faite en fonction de tel ou tel partenariat, ou presque. En effet, quelques tentatives ont été faites et ont perduré ou non. Il y a ainsi toujours des offres qui proposent non pas un accès à Internet, mais à Facebook et Twitter. Sosh l'a proposé un temps, mais ce n'est plus le cas. Cela reste néanmoins toujours actif chez M6 Mobile par exemple. Les plus vieux d'entre nous ont sans doute encore en mémoire les offres de Ten, le MVNO qui proposait Windows Live Messenger en illimité à l'époque où Facebook Messenger n'existait pas encore.
Autre pratique du genre : Orange qui propose encore actuellement un accès illimité à son offre de « Cloud » maison, ou presque, puisque ses conditions générales précisent : « Trafic Cloud offert. Une fois la totalité de crédit internet consommé, le débit est réduit sur l'ensemble de vos usages (y compris Le Cloud d'Orange) ». En plus de l'intégration au tarif de son forfait (ce qui n'a rien de répréhensible), c'est donc via l'usage que la société s'attaque à ses concurrents tels que Dropbox, Skydrive, Google Drive, HubiC et autres Box. Idem pour son offre de jeux « All you can play ». Contrôlez les tuyaux, vous pourrez tenter d'en influer le contenu. On notera d'ailleurs qu'Orange est l'un des rares à continuer de pratiquer ce type de distinction.
La neutralité du net, c'est quoi exactement ?
Mais est-ce une atteinte à la neutralité du net ? Celui que l'on présente comme son créateur, Tim Wu (Pourquoi devons-nous veiller à la neutralité des réseaux ?), s'en explique de manière détaillée au sein de sa FAQ. Benjamin Bayart, porte-parole emblématique de FDN, définit pour sa part son respect selon quatre points :
- Aucun examen du contenu
- Aucune modification du contenu
- Aucune prise en compte de la source ou de la destination
- Aucune prise en compte du protocole utilisé
Il détaillait sa conception des choses et les problématiques liées à cette notion à l'occasion des Journées Réseaux de l'Enseignement Supérieur en 2011, avec des morceaux d'impôt révolutionnaire, de FAI et de Meetic :
En bref : les tuyaux se doivent d'être bêtes. Ils sont là pour faire transiter un message, pas pour décider de la manière dont il doit transiter. On applique ici en général la règle du « best effort » : l'opérateur doit faire de son mieux pour transporter l'information, et c'est là tout ce qu'on lui demande. Que penserait-on d'un facteur qui décidera de livrer chaque jour les prospectus des magasins Auchan, mais d'attendre quelques jours pour ceux de Carrefour ? D'un réseau téléphonique qui vous permettrait de passer des appels sans délai pour voter pour la nouvelle Miss France, mais pas ceux pour votre famille en Bretagne ou en y ajoutant un message publicitaire ? D'un service de télévision par satellite qui vous imposerait un délai de 15 minutes avant l'affichage d'Arte, mais pas pour NRJ12 ?
Dans le cas de l'accès à internet, c'est la même chose. Pour éviter toute dérive, l'opérateur ou le FAI devrait se limiter à faire transiter les informations sans restriction visant un type de contenu en particulier. Libre à lui ensuite de restreindre l'accès de manière générale ou non, et de facturer son service le montant qui lui semble nécessaire, bien que comme nous le verrons plus loin, ce n'est pas toujours si simple.
Le droit peine à imposer le concept de neutralité du net, les opérateurs en profitent
Malheureusement, cette notion n'existe pas en droit français et nos autorités s'enlisent un peu sur le sujet. Aux dernières nouvelles, Fleur Pellerin avait demandé au Conseil National du Numérique de faire ses recommandations. Celui-ci a rendu son avis en mars dernier et évoquait alors l'inscription de ce principe dans la loi, mais rien n'a bougé. Pire, tant la Quadrature du Net (LQDN) que des parlementaires comme Laure de la Raudière (à l'origine d'une proposition de loi sujet en septembre 2012) critiquaient à l'époque cet avis. L'un sur le fond, en raison de la définition trop floue du concept de neutralité, l'autre sur la façon de faire.
À l'occasion d'une interview au mois d'avril, son Président Benoit Thieulin nous livrait sa propre définition de la neutralité du net :
« Je dirais que la neutralité de l’internet, c’est l’obligation pour tous les intermédiaires techniques qui constituent la chaîne d’accès à Internet, de traiter à égalité les utilisateurs qui s’y connectent quels que soient les contenus qu’ils consultent, produisent ou échangent, et les services qu’ils utilisent. Pour le dire plus simplement encore : c’est le principe d’égalité adapté au réseau et au monde numérique et connecté dans lequel nous vivons désormais. »
Tout cela devait alors prendre forme au sein d'un projet de loi sur les libertés numériques. Annoncé pour le premier semestre de cette année, mais comme nous l'évoquions en novembre, il reste encore de nombreuses questions sur ce texte qui ne semble pas au centre des priorités. Le cap était néanmoins annoncé comme maintenu, nous verrons ce qu'il en sera dans les semaines qui viennent.
L'Europe à la rescousse... ou pas
Au niveau européen, les choses bougent, mais là aussi rien n'est gagné et le fameux « paquet télécom » est au centre de toutes les attentions, notamment celles de LQDN. En début de semaine, Félix Tréguer, l'un des membres fondateurs de l'association, nous précisait sa position concernant le cas de SFR, et des autres pratiques du même genre :
« Nous considérons ce genre de discriminations tarifaires contraires – sinon à la lettre (pas de discrimination technique) du moins à l'esprit – du principe de neutralité du Net, en particulier en raison de ses effets anticoncurrentiels et délétères pour l'innovation. Ces forfaits aboutissent à des distorsions de concurrence qui favorisent la création de "walled-gardens", le plus souvent au profit de services en ligne centralisés et américains. Permettre YouTube en illimité sur le mobile montre bien la mauvaise foi des opérateurs lorsqu'ils arguent du manque de bande passante pour porter atteinte à la neutralité en bloquant ou en bridant certains services (le P2P par exemple) »
Pour lui, c'est au régulateur de faire respecter ces notions : « Il est temps que l'Arcep tape du poing sur la table pour mettre un terme à ces dérives avant qu'il ne soit trop tard. L'autre solution consiste à obtenir des garanties via l'Union européenne ». Concernant les travaux autour du marché unique des télécoms, il se veut là encore assez critique et indique que la Quadrature du Net est à l'origine d'un amendement, proposé justement de manière à éviter la mise en place de telles offres en précisant que « les fournisseurs d'accès à internet ne doivent pas restreindre les libertés énoncées au paragraphe 1 en bloquant, ralentissant, dégradant ou discriminant des contenus spécifiques, des applications ou des services » plutôt que la notion plus floue du texte en l'état actuel. Rajoutez à cela l'exception permettant la gestion de trafic afin de limiter la congestion du réseau actuellement proposée, et vous obtenez un cocktail qui ouvre la porte à quelques abus.
Notez au passage que l'association a d'ailleurs mis en ligne une plateforme afin de référencer toutes les atteintes à la neutralité du net à laquelle chacun peut participer : Respect My Net. Ceux-ci sont ensuite vérifiés et validés ou non selon les cas. Ici il est question de tout type de limitation, du blocage de ports aux bridages de débits qu'ils soient volontaires ou non.
Lentement, mais sûrement, les opérateurs grappillent du terrain
Car pendant ce temps, les choses bougent et les opérateurs tentent des initiatives qui vont à l'encontre de ce principe. On l'a bien vu aux USA, avec le récent jugement de la Cour d'appel qui donnait raison à Verizon dans son long combat face à la FCC (l'ARCEP local) que nous avions alors détaillé. Celui-ci va sûrement faire l'objet d'un appel auprès de la Cour Suprême et l'on attend de voir quel sera le résultat final. Mais plus proche de nous, les différentes initiatives d'Orange et celle de SFR avec ses forfaits RED sont contestées, sans que personne ne réagisse outre mesure. Le gouvernement, si prompt à protéger Dailymotion face à Yahoo, à critiquer la tendance à la baisse des prix de la 4G ou la nationalité des équipements des FAI n'aurait donc rien à dire sur le fait de privilégier un fournisseur de service américain au sein d'une offre d'un opérateur français ?
Car comme Orange privilégie certains de ses services, SFR a donc choisi de privilégier l'accès à YouTube avec certains de ses forfaits. Les conditions sont assez claires sur le fait que c'est l'origine des contenus qui est l'objet de la distinction : « Accès illimités aux vidéos hébergées sur youTube.com (et googlevideo.com), depuis un mobile compatible via le protocole http ». Le pari est sans doute simple : se différencier avec une telle offre, espérer qu'elle soit plébiscitée par les utilisateurs afin de pouvoir multiplier ensuite les initiatives du genre et s'assurer une quasi impossibilité de revenir en arrière.
Car il est sans doute bien plus simple pour un opérateur d'expliquer à un client l'avantage qu'il a à disposer de YouTube en illimité à grand renfort de publicités, que pour les défenseurs de la neutralité du net d'expliquer en quoi son non-respect est un danger à plus ou moins long terme pour tous.
Internet ne serait plus une grande nation, mais différents territoires balisés
Car derrière YouTube, il y a aussi Google Play Films. Ainsi, si vous achetez un film sur la plateforme de Google, vous pourrez le regarder sans craindre de limitation de votre forfait à travers YouTube. Le partenaire de SFR, qui est au cœur de sa nouvelle box basée sur Android, dispose donc d'un large avantage par rapport à des services tels que Dailymotion, iTunes, Viméo ou n'importe quelle offre de streaming de vidéo et de VOD.
Imaginons quelques secondes le résultat d'une telle pratique appliquée à d'autres FAI : Orange pourrait ainsi ne plus décompter les contenus de Deezer, de Dailymotion, ou les articles de presse trouvés depuis son moteur de recherche dédié aux actualités par exemple. Le fait d'accéder aux contenus de M6 (son partenaire pour M6 Mobile) pourrait être illimité, ainsi que tous ceux liés à M6 Publicité Digital de Golden Moustache, en passant par les vidéos de Norman, D&co.fr ou Turbo.fr. Bouygues Télécom pourrait pour sa part décider de ne plus décompter tout ce qui touche à TF1 ou ses chaînes affiliées comme NT1 et TMC, mais aussi l'accès à Wat et à tous ceux qui utilisent TF1 publicité comme régie.
Un visuel, repris par La Quadrature du Net pour la réalisation française, représente assez bien ce risque. Il était alors question de la façon dont les FAI pourraient décider de proposer des packs de site hors d'un quota :
On imagine ainsi les effets sur l'émergence de nouveaux services innovants hors de ces partenariats, notamment lorsque les besoins en termes de bande passante sont importants du côté de l'utilisateur. Ils ne pourront percer sans l'appui des opérateurs qui deviendraient ainsi les maîtres du réseau.
Pour SFR, il ne s'agit que de marketing, pas d'atteinte à la neutralité du net
Nous avons bien entendu interrogé Orange et SFR afin d'avoir leur point de vue sur la question. Seul le second nous a répondu pour le moment, à travers Nicolas Chatin, Directeur de l'information du groupe :
« Le lancement du nouveau forfait RED 4G était l’opportunité de se différencier des offres concurrentes en proposant une innovation, à savoir le non décompte du pot de DATA d’un usage favori des utilisateurs de RED, en l’occurrence YouTube. Il n’y a pas d’accès privilégié ou quoi que ce soit d’autre qui pourrait remettre en cause le concept de NetNeutrality. Il s’agit d'une approche marketing à l’instar de ce que nous faisons dans nos formules carrées avec les Extras, ces derniers permettant aux abonnés d’inclure sans surcoût un service parmi les cinq proposés (e-Coyote, Napster, Gameloft, Canal Play et kiosque SFR presse). »
Pour lui, il est ici question d'une simple « logique de différentiation », rien de plus. Malheureusement, les fameux extras proposés sur les offres Carrées, sont, eux, bien décomptés. Un choix logique selon notre interlocuteur : « Il y a une valeur faciale qui est offerte aux clients, et pour RED une fois encore, ni filtrage, ni priorisation, juste un plus. Ne mélangeons cette approche avec une autre qui consisterait à imposer des services au détriment des autres (bridage, exclusion, etc.), ce qui n’a jamais été le cas chez SFR. »
Et pourtant, c'est bien l'usage de YouTube qui va être privilégié au final puisque l'utilisateur pourra y consulter du contenu en illimité contrairement aux plateformes concurrentes émergentes ou non.
Le régulateur réaffirme ses positions, mais n'agit pas
Du côté de l'ARCEP, nous n'avons eu aucune réponse précise puisque l'autorité s'est contentée de nous renvoyer àson rapport de 2010 sur le sujet, et à ses dix propositions. Dans ce dernier, elle apportait la nuance suivante au concept de neutralité du net qu'elle a plutôt eu tendance à défendre ces derniers temps :
« Selon le principe de neutralité, chaque utilisateur doit avoir accès, à travers l’internet et, plus généralement, les réseaux de communications électroniques (quel que soit le support de diffusion), à l’ensemble des contenus, services et applications véhiculés sur ces mêmes réseaux, quelle que soit la personne qui les délivre ou les utilise, de façon transparente et non discriminatoire.
La mise en œuvre de ce principe, non écrit mais assez largement partagé par les parties prenantes, se trouve en pratique confrontée à des contraintes diverses, comme le fait de devoir se prémunir contre les attaques sur le réseau, de faire face à une congestion, de mettre en place des mécanismes répondant à des obligations légales… Tout ceci conduit l’Autorité à apprécier le principe de neutralité de l’internet et des réseaux de manière pragmatique et raisonnable. »
Selon l'autorité, deux scénarios sont en effet à éviter. Le premier est l'absence totale de gestion de trafic « avec le danger notable d’une dégradation des réseaux et, in fine, de la qualité de service pour l’utilisateur final », mais aussi à l'inverse d'éviter une trop grande liberté aux opérateurs qui pourraient alors en profiter ce qui pourrait « notamment conduire à des pratiques discriminatoires et anticoncurrentielles, et portant le risque d’atteintes au modèle d’ouverture, d’universalité et de libre expression propre à l’internet ». C'est exactement de cela dont il est question au sein des offres d'Orange et de SFR, notamment au regard de leur effet sur les services concurrents.
Elle recommandait alors de ne pas appliquer de discrimination sur les flux ou les appareils utilisés, tout en assurant une bonne qualité de service. Dans sa troisième proposition, elle reconnaissait quelques exceptions : « l’Autorité recommande que, lorsque des pratiques de gestion de trafic sont mises en place par les FAI pour assurer l’accès à l’internet, elles respectent les critères généraux de pertinence, de proportionnalité, d’efficacité, de non discrimination des acteurs et de transparence. » Mais ici, les opérateurs sont protégés puisqu'ils ne modifient pas la façon dont le trafic est géré, uniquement la façon dont il est facturé.
Deux ans plus tard, dans un second rapport, elle indiquait par contre (Page 52) que « certains forfaits mobiles proposent des seuils de consommation qui permettent un accès àl’internet au sein duquel l’accès à certaines applications (par exemple : quelques sites web très fréquentés) n’est pas décompté, ou décompté séparément, permettant ainsi aux utilisateurs d’y accéder plus longtemps qu’à d’autres applications non favorisées. L’ARCEP reconnaît l’intérêt commercial de telles offres pour les FAI mais souligne le risque de discrimination qu’elles engendrent, notamment en diminuant les possibilités de développement des acteurs aujourd’hui de moindre notoriété. En effet, ces offres favorisent souvent un acteur au sein de l’accès à l’internet et pas ses concurrents (un réseau social, quelques services de messagerie électronique, etc.) »
Malheureusement, là encore elle n'exigeait rien mais précisait surtout qu'elle « considère qu’il est souhaitable que les FAI proposent des offres d’accès à l’internet ne privilégiant pas certains services. A défaut, elle préconise qu’ils aient une approche par typologie de services et non pas par services individuels, et qu’en tout état de cause, ils répondent de manière raisonnable aux FCA qui demanderaient à voir leur trafic pris en charge dans des conditions équivalentes. » SFR devrait donc, non pas rendre illimité l'accès à YouTube, mais au moins aux services équivalents, comme Orange devrait pour sa part proposer un quota supplémentaire pour les autres services de stockage dans les nuages.
Tout est une question de tuyaux, mais qui est le plus stupide ?
Derrière cette bataille autour de la neutralité du net et la façon dont les opérateurs gèrent leurs tuyaux se cache une problématique plus rarement analysée et qui est sans doute le point sensible de l'affaire. Elle a été évoquée assez discrètement ce dimanche, pendant l'émission Soft Power sur France Culture.
On y entendait tout d'abord Florent Latrive, rédacteur en chef adjoint de Libération, donner son point de vue sur l'offre de SFR :
« Ça signifie que lorsque l'on prend un abonnement, à cet opérateur téléphonique, on a un accès à internet qui est limité, comme partout avec la plupart des forfaits [...] sauf sur YouTube, sauf toutes les vidéos de YouTube qui elles sont en illimité. Comment ça se passe ? On a exactement un fournisseur d'accès à internet, en l'occurrence SFR en mobile, qui s'associe avec un gros acteur [...] YouTube, le plus gros fournisseur de vidéos sur le net. Ils s'associent entre eux, ils font un petit deal sur un coin de table et à l'arrivée l'utilisateur, il est censé être content de n'avoir accès qu'à YouTube. Mais quid de Dailymotion, qui est le concurrent de YouTube, quid d'un concurrent que je voudrais moi lancer, quid de quelqu'un qui ne passe pas par YouTube ? Il est bridé dans son accès à l'utilisateur. Cela a de vraies conséquences sur la liberté d'expression et la liberté d'innovation
L'idée de la neutralité du net, elle est très profonde. C'est d'avoir des tuyaux stupides. C'est bien cela qui agace Orange et compagnie. [...] Ils ne peuvent pas choisir, ils ne peuvent pas prioriser, ils ne peuvent pas regarder ce que c'est. En revanche, l'intelligence elle est au bout du réseau. C'est celle des humains, c'est celle des services et des outils qui sont autour de ce réseau. Et le réseau doit être stupide, vraiment stupide.
Les opérateurs détestent ça. Ils disent « Mais pourquoi ils sont les seuls à ne pas pouvoir innover ? ». Et bien ils n'ont qu'à innover sur ce qui fait leur spécificité, c'est-à-dire faire circuler bien l'info. Eux, ce qu'ils voudraient, ce sont des réseaux intelligents. En revanche, le risque c'est d'avoir des services et des gens très bêtes autour. »
Emmanuel Paquette de l'Express, fait pour sa part la différence entre un fournisseur d'accès à internet et un opérateur télécom, qui a des obligations. L'une d'entre elles est par exemple celui de prioriser les appels d'urgences. De fait, ces opérateurs considéreraient alors qu'ils « sont eux même fournisseurs d'accès et ils ont le droit de prioriser certains types de contenus, ça peut être des appels d'urgence, ça peut être des vidéos d'urgence, puisque l'on y arrive aujourd'hui, ça transite directement par les fournisseurs d'accès internet. Lorsqu'il y a un feu quelque part, vous avez une caméra de surveillance, elle est obligée de donner ces éléments très rapidement et elle doit passer avant un chien qui fait du skateboard sur YouTube par exemple. C'est cet argument qu'utilisent aujourd'hui les opérateurs de télécom auprès des élus pour dire « On a besoin de prioriser certains contenus par rapport à d'autres. » Il ne faut pas que de cela on dérive (...) mais l'on ne peut pas non plus rejeter le fait qu'il y ait des priorisations entre les contenus ».
Des géants se livrent bataille : l'internaute comme chair à canon
Mais un point de vue intéressant est venu d'une simple phrase d'Henry Verdier, directeur d'Etalab. Pour lui, tout cela n'est qu'« une bataille de Titan [...] la question, c'est qui contrôlera la TV ADSL ». Car il y a effectivement une problématique de fond entre les opérateurs, qui sont liés à des groupes de médias, ou directement partie prenante dans la production française, et les géants du web qui sont actuellement ceux qui représentent le gros du trafic mondial.
Comme l'expliquait Benjamin Bayart lors de son intervention évoquée plus haut, ceux qui transportent l'information font d'une certaine manière un travail ingrat puisqu'ils apportent à l'utilisateur le contenu monétisé par d'autres, contre un simple abonnement mensuel de quelques dizaines d'euros, malgré un besoin d'investissement colossal. C'est tout le sens de la guerre, désormais terminée entre Cogent et Orange, celle entre Google et Free ou encore celle qui fait rage autour de Netflix aux USA actuellement.
Une fois disponible en France, Netflix offrira-t-il de bons débits chez nos opérateurs ?
Ce dernier a d'ailleurs donné à ses investisseurs sa stratégie en cas de rébellion de la part des fournisseurs d'accès en indiquant que si cela venait à arriver, comme le rapporte le Washington Post « Nous protesterions vigoureusement et nous encouragerions nos membres à exiger l'internet ouvert pour lequel ils payent leur FAI. »YouTube, qui compte mettre en place une sorte d'observatoire des fournisseurs d'accès, est sur la même tendance : chercher à montrer à l'utilisateur que ce sont les FAI qui ne font pas leur travail plutôt que d'évoquer les histoires de gros sous qui se jouent à coups de CDN tels qu'Open Connect.
Miser sur le besoin de contenu afin de monter l'internaute client contre le maillon de la chaîne qui nous dérange, une stratégie qui semble donc être celle plébiscitée de toutes parts mais qui ne sera sans doute pas tenable très longtemps. Il ne reste donc plus qu'à attendre et voir dans quel état seront les différents acteurs une fois la bataille terminée. Et surtout prier pour que ce ne soit pas l'internaute le grand perdant de cette bataille pour la neutralité.
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