lundi 17 mars 2014

Les clés de la vente de SFR à Altice ou à Bouygues

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le 07/03/2014, par Didier Barathon,
La Commission de Bruxelles et le Gouvernement français, paradoxalement, convergent pour atténuer la concurrence à quatre opérateurs qui règne dans chaque pays mais lamine les marges. Dans ce contexte, Vivendi devrait vendre SFR. Deux prétendants, Altice-Numéricable et Bouygues, avancent leurs promesses, mais le dernier mot reviendra au régulateur, l'Autorité de la concurrence, garante d'une saine concurrence. Une enquête en cinq points : l'actionnaire, le Gouvernement, l'Europe, les synergies, les conséquences.
Les clés de la vente de SFR à Altice ou à Bouygues
  . Vivendi a lâché sa filiale SFR
Il est communément admis que la vente de SFR est la conséquence de l'arrivée, début 2012, de Free Mobile. L'idée n'est pas fausse mais un autre facteur a joué, la volonté de Vivendi actionnaire de SFR de s'en séparer. Pour comprendre, il faut remonter à l'origine de la société. SFR est le deuxième opérateur mobile français, lancé par la Générale des Eaux en 1987. L'arrivée aux commandes de ce groupe de Jean-Marie Messier se transforme en opération chirurgicale. Il vend l'eau, le bâtiment et des centaines d'activités éparses et peu rentables, pour se concentrer sur les tuyaux (les télécoms) et les contenus. C'est la naissance de Vivendi, avec des filiales télécoms, en 1er lieu SFR et dans l'audiovisuel comme Canal +.

Après l'éviction de Jean-Marie Messier, resurgit régulièrement chez les actionnaires l'idée de séparer les deux pôles, de vendre les telcos pour se concentrer sur l'entertainment. La forte rentabilité (passée) des télécoms les a dissuadés. Le bras de fer avec Vodafone et le départ de celui-ci en avril 2011 a occupé les esprits. Les managers de leur côté ont avalé Neuf qui lui-même avait racheté et consolidé une dizaine d'opérateurs. Les actionnaires ont gardé, sans la réaliser, leur idée de vendre les télécoms, les dirigeants de ce pôle l'ont consolidé. 

L'arrivée de Free a remis le sujet sur la table. Les atermoiements de Jean-René Fourtou ont encore retardé la décision. En dix-huit mois, de 2012 à mi 2013, SFR a connu cinq Pdg, jusqu'au choix de Jean-Yves Charlier, il y a neuf mois. Entouré d'une nouvelle équipe très soudée, il  a lancé des projets, assumé le déménagement dans un campus à Saint-Denis, mis en chantier la modernisation et l'extension des datacenters. Numergy  a pris et réussi son envol contrairement à son grand concurrent.

SFR, du moins ses équipes, est toujours sur le pied de guerre, mais l'actionnaire leur a fait défaut. Le contraste est même saisissant avec Bouygues Télécom, le dernier par la taille des grands opérateurs français qui montre une volonté d'en découdre peu commune, avec, en moins d'une semaine, la présentation de nouvelles offres dans le fixe et le projet de rachat de SFR. L'arrivée au capital de Vivendi de Vincent Bolloré n'a pas modifié le destin de SFR. Celui qui a voulu en 1998 tenter une OPA sur Bouygues Télécom ne s'est pas laissé séduire par l'actuel mercato des télécoms. Devenu vice-président du Conseil de surveillance de Vivendi, il appuie la stratégie de recentrage sur l'audiovisuel.

. Les pouvoirs publics sont revenus en force
La nouvelle en a estomaqué plus d'un, Martin Bouygues a été reçu par François Hollande alors que Patrick Drahi, patron d'Altice la holding de Numericable ne l'a été que par l'un des secrétaires généraux adjoint de l'Elysée, Emmanuel Macron. Le lobbying est bien une course de fond très sélective. Les deux protagonistes ont en revanche l'un comme l'autre souvent pris rendez-vous avec Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin ces derniers mois. Signe que la recomposition des opérateurs est une idée qui fait son chemin. Les télécoms intéressent le gouvernement et le plus haut sommet de l'Etat. Le plan Fibre optique a été présenté par le Président en personne, le mandat du Président d'Orange qui arrive à échéance fin juin remontera à ce niveau.

Plus décisif, les différents décideurs gouvernementaux semblent sur la même longueur d'onde. Fini les tonitruantes déclarations du titulaire du portefeuille de l'industrie, du moins sur ce sujet. Au contraire, c'est la mise en avant de deux exigences (comme sur beaucoup d'autres dossiers industriels) : l'investissement et l'emploi. Là encore, comme sur le Pacte de compétitivité, on retrouve du donnant-donnant. A l'issue du Conseil des ministres du 5 mars, la porte-parole du Gouvernement en a même rajouté, en insistant sur trois principes : l'emploi, l'investissement et la qualité de service. Le troisième faisant référence à la période noire du câble français au milieu des années 2000 où le mécontentement des clients a brouillé pour des années l'image du secteur.

Les candidats à la reprise de SFR ont largement intégré ces données. Ils multiplient les déclarations pour montrer leur alignement sur les souhaits du Gouvernement. Patrick Drahi a même rectifié le tir. Au départ, il y a dix jours, son projet tablait sur les synergies et l'intérêt des sociétés de bourse. Mardi, dans le Figaro, il multiplie les messages sociaux et parle d'embauches. Le sujet de l'investissement est plus compliqué. Le gouvernement souhaite que les opérateurs retrouvent des marges, donc des capacités d'investissements. Le low cost est mal vu. Fleur Pellerin demande donc que les opérateurs investissent dans la fibre optique au lieu de tirer le marché vers le bas. Bouygues parle ainsi de 400 ME d'investissements dans la fibre optique. Pour emporter la mise, Patrick Drahi, lui, a promis de recourir à des fournisseurs français, Alcatel-Lucent, Technicolor (ex Thomson) ou Sagemcom.

. L'Europe est passée de la concurrence par les prix à la concurrence par les réseaux
Depuis l'été dernier, la Commission européenne a engagé un nouveau programme télécom. Il prévoit un marché plus unifié des télécoms en Europe, un marché qui reste encore très national et donc très fragmenté. La conséquence de cette  plus grande intégration sera l'apparition d'opérateurs transnationaux, donc des rachats entre opérateurs européens. Les volontés d'opérateurs non européens pour racheter des opérateurs du vieux continent semblent bloquées, comme en témoigne l'échec du mexicain America Movil sur le hollandais KPN ou de l'américain AT&T sur Telefonica.

Il n'est pas certain que la nouvelle stratégie européenne soit appliquée, surtout en France, où l'on parle volontiers de dogmatisme à propos de la Commission européenne. La précédente période d'ouverture à la concurrence semble porter tous les maux de la terre, pour avoir précipité des destructions d'emplois et d'investissements, c'était la concurrence par les prix. Chaque pays était poussé à donner leurs chances à quatre opérateurs. La nouvelle doctrine les pousse soit à mutualiser soit à se racheter les uns les autres, à privilégier l'investissement donc la concurrence par les réseaux, mais en restant entre européens. En clair : pas de rachat intra nationaux mais des rachats trans-nationaux.

Cette vision se heurte toutefois aux réalités des marchés. Les opérateurs agissent dans des cadres nationaux. Les régulateurs, que Bruxelles poussaient également à fusionner feront de même. En France, les pouvoirs publics s'ouvrent à des rapprochements, comme Bruxelles, mais ce sera entre opérateurs ou acteurs nationaux. Altice, côtée à Amsterdam, avec un siège au Luxembourg et un patron qui passe pour un « exilé fiscal » est montré du doigt par une insidieuse campagne de presse.

. Beaucoup de promesses sur les synergies
La bataille entre Altice et Bouygues se joue sur un point très sensible, les synergies potentielles. Bouygues parle de 10 milliards de synergies, Altice avait avancé le chiffre de 4 mais tente maintenant de dépasser la promesse de Bouygues. Sur quels points, les deux protagonistes peuvent-ils miser ? On peut en répertorier de plusieurs types (source Oddo Securities).

- Si Altice-Numericable rachète SFR :
. suppression des coûts de dégroupage payés par SFR à Orange, 
. gel des investissements fibre prévus par SFR, ils se feront chez Numericable/Completel,
.  fusion de SFR et de Completel (filiale BtoB de Numericable) pour éviter les redondances sur ce marché,
. réduction des coûts d'interconnexion payés notamment à Orange.

Ce rachat entraîne (toujours selon Oddo) 3,5 milliards de synergies, 2,6 en BtoC et 1,27 en BtoC.  

- Si Bouygues rachète SFR :
. dans les mobiles, ce rachat amène une synergie d'opex dans les zones denses sur les loyers des sites et la maintenance des réseaux, synergies également sur les zones non denses
. dans le fixe, bascule des abonnés de Bouygues reliés à la boucle locale de Numericable qui passeront sur le réseau DSL de SFR
. mise en commun et réduction des boutiques physiques et des services en ligne.

Pour Oddo, les synergies ne seraient dans ce cas que de 3,5 milliards, 2,6 dans le mobile et 500 millions dans le fixe.

Ces synergies sont un élément décisif qui fonde la rentabilité de chaque projet. Mais on le voit les chiffres d'Oddo Securities sont loin des promesses des deux candidats au rachat, qui veulent plaire à la fois aux pouvoirs publics, aux actionnaires et à leurs banquiers.

Quelles conséquences après la vente ?

Les conséquences ne sont pas les mêmes suivant les deux scénarios possibles. Si Altice gagne, le nouvel ensemble sera un n°2 du fixe (6,9 millions d'abonnés, SFR est actuellement n°3) et un n°2 dans le mobile (21,3 millions d'abonnés, uniquement de SFR). Si Bouygues l'emporte, ce sera le n°1 du mobile (32,4 millions d'abonnés, contre 26,7 à Orange) et le n°2 dans le fixe (7,2 millions, contre 10 à Orange). L'inverse. Le 1er scénario amène une concurrence moins intense que le second, avec 4 opérateurs au lieu de 3.

C'est l'Autorité de la concurrence qui arbitrera après l'annonce par Vivendi du nom du repreneur. Elle mènera une enquête et des audits, une procédure qui peut prendre plusieurs mois et aboutir à des accords conditionnels, donc repousser d'autant la reprise effective et la fusion des équipes. On sait que tout rachat est aussi périlleux après qu'avant la signature, dans le cas de SFR ce scénario est encore plus compliqué.

La pression est également mise par les Sociétés de bourse. Elles se livrent depuis des mois à des analyses qui encouragent Vivendi à vendre SFR et à donner la priorité à la meilleure valorisation pour les actionnaires. En avril 2011, Vivendi avait racheté les 44% détenus par Vodafone dans SFR pour 7,95 milliards d'euros. Ce qui valorise la totalité de SFR à 18 milliards d'euros. Bouygues et Altice ont laissé filtrer deux propositions de prix autour de 15 milliards de valorisation. Ces propositions se font par un lourd endettement, porté par la dette mais avec deux options différentes suivant les dossiers : soit sur Altice la holding, soit sur Bouygues Télécom la filiale. A noter que Bouygues consolidera SFR dans ses comptes ce qui n'est pas le cas d'Altice.

Coté social, la plus grande incertitude règne. Officiellement les deux candidats sont très engagés socialement sur le dossier SFR. Patrick Drahi a même promis des embauches dans la partie BtoB. Bouygues fait ressortir dans son document de présentation sa culture sociale avec 25% de son capital détenu par les salariés.  Toutefois, on imagine mal comment le rapprochement ne donnerait pas lieu au moins à des départs volontaires sous forme de non-remplacement, de volontariat, de retraites. Il n'y aura pas de départs contraints  a simplement souligné Bouygues. Certes, et les départs volontaires ? Martin Bouygues a également répondu à ceux qui s'inquiètent de suppressions massives de boutiques qu'il embaucherait et devrait ré-internaliser des centres d'appel.

Finalement le seul vainqueur pour l'instant c'est Iliad Free a peu près certain de récupérer des fréquences qu'il n'avait pas encore. Le conseil de surveillance de Vivendi doit se prononcer avant la fin du mois et se réserve encore officiellement la possibilité d'une autre solution que la vente, celle de l'entrée en bourse. Après, devrait intervenir l'Autorité de la concurrence, l'autre grand décideur.

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