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Anticiper la révolution numérique est une chose. Savoir adapter son « business model » en est une autre. AXA ou Carrefour y parviennent. La Redoute a loupé le coche. Pourquoi certaines entreprises s'en sortent et pas d'autres ?
L'annonce il y a cinq mois de la fermeture des 26 magasins Virgin a été pour moi un véritable choc. Enseigne iconique, habituée des lieux mythiques et qui bravait les interdits, rien ne semblait pouvoir lui arriver. Et aux yeux de beaucoup, Richard Branson était passé pour un fou en vendant dix ans plus tôt. Une adaptation manquée lui a néanmoins donné tristement raison : celle des « mégastores » qui ont largement manqué le virage numérique. Mais que dire de La Redoute, aujourd'hui mise en difficulté par l'essor de l'e-commerce ? Toute l'histoire de l'ex-reine de la vente par correspondance semblait pourtant la préparer à ce virage digital : « passée à Internet », elle réalisait plus de la moitié de son chiffre d'affaires sur Laredoute.fr. Alors où est le problème ?
Face à l'accélération des changements comportementaux des consommateurs, se pose en fait une question fondamentale. Celle de la capacité de nos entreprises à adapter efficacement leur « business model », quand bien même l'évolution aurait été anticipée.
Qu'en est-il en France ? Certaines entreprises se trouvent tout bonnement menacées de disparaître. Il y a donc urgence. A la fois quant à l'anticipation et à l'adaptation. Pourtant, tout n'est pas sombre. Car, dans l'ombre d'une disparition médiatique, de nombreuses entreprises prennent aujourd'hui le leadership du changement - grâce à l'innovation bien sûr, mais aussi en faisant preuve d'audace et d'esprit entrepreneurial. Laissez-moi vous en donner quatre illustrations.
A l'heure du partage multiconnecté, le client 2.0 doit résolument être au coeur de la réflexion marketing. C'est précisément l'approche choisie par Carrefour, le multicanal et le multiformat pour ses magasins, alors que certains prédisaient la mort de l'hypermarché.
Deuxième exemple, le pouvoir de la transparence digitale pour les entreprises. Une grande marque comme AXA a choisi d'innover au quotidien en prenant un pari participatif et numérique. En lançant Quialemeilleurservice.com, premier comparateur de services sur Internet, qui permet aux clients de vérifier par eux-mêmes, elle s'est imposée comme la référence qualitative et prémium de son marché.
« Open data » et esprit start-up
Un troisième exemple de la puissance d'adaptation des outils digitaux passe par une approche globale indiscutablement féconde. En seulement deux ans, Pmu.fr est devenu la référence incontestée du pari sportif en ligne, loin de l'image d'Epinal du bar-tabac des turfistes. En lançant Hellobank.com, BNP-Paribas n'a pas lancé la énième banque en ligne, mais la première banque mobile, pour des clients qui le sont tout autant. Quant à France Télécom - Orange maintenant ! -, l'opérateur ambitionne de devenir le premier de l'ère Internet : banque mobile, « open data » et esprit start-up.
Enfin, ce pouvoir d'anticipation s'applique aussi - rappelons-le ! - au monde « offline ». Mais encore faut-il oser prendre les risques nécessaires malgré les aléas conjoncturels. Prenez le marché de l'automobile ; tantôt sinistré, tantôt diabolisé, il est toujours de bon ton de le critiquer. Une formule résume bien le nouveau paradigme de ce marché difficile : « Soit vous êtes dans le low cost, soit vous êtes dans le prémium, soit vous avez un problème. » Les grands constructeurs allemands l'ont bien compris en montant en gamme ; mais Renault aussi, en sachant prendre le risque calculé d'une nouvelle segmentation de sa gamme.
D'aucuns diront qu'il s'agit d'exemples brillants mais isolés dans un contexte global dégradé, alors que les entreprises françaises connaissent des problèmes de compétitivité et qu'on recense plus de 700 plans sociaux depuis janvier. Oui, la crise est là et la compétitivité est légitimement au coeur des débats, mais je ne partage pas ce pessimisme. D'abord parce que l'ampleur de ces forces vives est réelle, ce qui est vrai pour ces grandes entreprises motrices l'est également pour des centaines de PME. En anticipant les changements, en adaptant leur « business model » très en amont, elles créent la croissance et les emplois de demain. Ensuite parce que je crois à la force de l'inspiration, de la vocation, de l'exemple. En somme, en l'homme - tout à la fois créateur d'idées et manageur.
C'est d'ailleurs le point le plus essentiel. En miroir, revenons un instant sur l'exemple de Virgin Megastore à travers le succès de son concurrent historique : la Fnac. C'est avant tout une affaire d'hommes à mes yeux, la nouvelle équipe dirigeante ayant su insuffler une dynamique audacieuse : proche du terrain, à l'écoute des collaborateurs et des adhérents, elle a diversifié l'offre et les formats et développé l'« omnicanalité » - une cohérence entre canaux physique et numérique, laissés au choix du client. Affaire d'hommes encore avec le soutien historique de l'actionnaire (Kering) à une vision industrielle. Certes, les défis restent nombreux, mais l'enseigne regagne d'ores et déjà des parts de marché.
Et c'est cette conscience du pouvoir de l'humain que je voudrais transmettre aux générations montantes et à venir. C'est pour cela qu'il me paraît essentiel de rappeler inlassablement ces intuitions, ces combats et ces succès. Peut-être encore plus aujourd'hui qu'hier. Car diriger, c'est diriger le changement.
Arthur Sadoun
Président de Publicis Worldwide
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