A lire sur: http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0203138158767-google-ou-la-reinvention-permanente-633798.php
D’adaptation en diversification, le moteur de recherche a conçu un écosystème à la fois autonome et global, qui rend ses utilisateurs toujours plus dépendants.
C’est une tendance de fond : les internautes passent de plus en plus de temps sur leurs smartphones ou leurs tablettes, de moins en moins sur leurs ordinateurs. Aux Etats-Unis, cette année, la navigation sur mobile devrait même dépasser celle sur PC, selon les projections réalisées par le cabinet eMarketer. Ces changements d’usage auraient pu déstabiliser le géant Google, qui a bâti sa fortune grâce à ses liens sponsorisés sur PC. Il n’en a rien été et la firme de Mountain View est une nouvelle fois en train de démontrer sa capacité d’adaptation. Au troisième trimestre, le nombre de clics payants qu’elle a comptabilisés a augmenté de 26 % par rapport à la même période de 2012. Preuve qu’elle a su accompagner la métamorphose du marché et les nouvelles pratiques des internautes.
Sur le papier, le basculement du moteur de recherche sur le mobile, où, à la différence de l’ordinateur, Google ne peut placer qu’un nombre restreint de liens sponsorisés, était pourtant une révolution de taille. Son offre de liens sponsorisés Adwords est inscrite au cœur de son ADN : elle a représenté 31 milliards de dollars de revenus l’an dernier, soit les deux tiers de son chiffre d’affaires. C’est en commercialisant annonces et bannières publicitaires autour des résultats obtenus par son moteur de recherche sur le Web et en extrayant des « datas » de plus en plus pointus sur les profils consommateurs que la firme est parvenue à devenir numéro un mondial de la publicité en ligne, dont elle s’arroge plus du tiers du marché. Mais cette force est aussi sa faiblesse : près de 92 % du chiffre d’affaires sont issus de la publicité.
Dans ce contexte, l’évolution des usages, qui voit le mobile prendre le pas sur l’ordinateur, représentait donc une menace réelle. Plus du tiers des clics sur les publicités ciblées de Google aux Etats-Unis, proviennent déjà d’un smartphone ou d’une tablette, où les internautes surfent plus volontiers sur les réseaux sociaux qu’à partir des moteurs de recherche. Dans ces conditions, le géant californien a très vite adapté sa stratégie, révisant sa plate-forme publicitaire pour recaler le prix des liens sponsorisés sur le Web avec les publicités mobiles et améliorer l’affichage : depuis février dernier, il propose aux annonceurs de différencier leur message en fonction du terminal, de la position géographique de l’utilisateur ou de l’heure de la journée.
Les résultats sont là : selon eMarketer, Google devrait capter plus de 53 % des revenus publicitaires sur smartphones et tablettes en 2013. Mais la médaille a son revers : le boom du mobile continue de peser sur le prix moyen payé par les annonceurs pour chaque clic généré sur Internet. Le tarif a de nouveau baissé en juillet, perdant 6 % sur un an et 2 % par rapport au premier trimestre.
Bousculé sur son offre historique, le géant Internet a donc, parallèlement, accéléré sa diversification. Une stratégie tentaculaire qui lui a plutôt bien réussi depuis ses débuts et qui lui vaut le surnom d’« Octopussy Google » dans les pays anglo-saxons : rachat en 2006, de YouTube, premier site de partage et de diffusion de vidéos en ligne, de la régie DoubleClick en 2007 et de Motorola en 2012, création du système d’exploitation pour smartphone Android, de la messagerie Gmail, et, enfin, développement de produits « disruptifs » comme les Google Glass ou, comme le veut la rumeur, la future Google Watch… Le tout avec une ambition à peine masquée : apparaître comme une plate-forme d’innovations, développant de nouveaux outils et bouleversant les usages des consommateurs à la manière d’un Apple.
Là encore, ça marche. Pour la première fois, durant le premier trimestre 2013, les revenus générés par les autres activités du groupe – ventes de services aux entreprises, de smartphones et de tablettes de la gamme Nexus, revenus du Google Play Store, la boutique de contenus pour Android… – ont dépassé le milliard de dollars. Les autres diversifications en cours – comme le lancement, par Canal+, de 20 nouvelles chaînes sur YouTube, après que sa filiale a déjà signé avec M6, BFMTV, Arte et Euronews – l’installent, en outre, comme un véritable média, touchant un public jeune.
Pas à pas, le géant Internet a conçu un écosystème à la fois autonome et global. Car on trouve de tout avec Google. Qu’il s’agisse d’un texte – Google Search –, de sons ou d’images – YouTube – de géolocalisation – Google Maps – de messageries électroniques – Gmail – ou encore de télévision avec Google TV… Le moteur de recherche s’est mué en point de passage obligé pour les annonceurs, qui abandonnent derrière eux, comme autant de petits cailloux, des « datas » précieux sur leurs consommateurs. Alors que sa diversification l’éloigne de son ADN d’origine, elle crée une dépendance paradoxalement accrue des acteurs du système à l’égard d’un groupe de plus en plus semblable à un hub, d’où jailliraient différents tuyaux. Plus que jamais, « Octopussy Google » mérite son surnom.
D’où l’ambivalence de ses partenaires, nourrie par le positionnement ambigu du moteur de recherche, tantôt fournisseur de données, tantôt partenaire des agences médias et publicitaires, tantôt concurrent publicitaire féroce. « Un frienemy », comme l’appelle Martin Sorrell, président de WPP, leader mondial de la communication. Mais les agences sont-elles en mesure de se priver d’un volume de « datas » impératif à obtenir pour concevoir des stratégies de communication ? Evidemment, non. Et, derrière l’évolution du « business model » de Google, l’extension et la diversification de son domaine d’action, se profile la nécessaire révision du modèle des structures de communication traditionnelles.
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