A lire sur: http://www.futura-sciences.com/magazines/espace/infos/actu/d/astronomie-modele-testable-energie-noire-22-precisions-alain-blanchard-47072/#xtor=EPR-42-[HEBDO]-20130708-[ACTU-Modele-testable-d-energie-noire--2/2--:-les-precisions-d--Alain-Blanchard]
Le SDSS-III Baryon Oscillation Spectroscopic Survey (Boss) cartographie la distribution spatiale des galaxies lumineuses rouges (GRL) et des quasars afin de mesurer les caractéristiques des oscillations baryoniques acoustiques (BAO) dans l'univers primitif. Les ondes sonores qui se propageaient alors dans l'univers primitif, comme des vaguelettes dans un étang, ont laissé des empreintes dans les fluctuations de températures du rayonnement traduisant des fluctuations de densité. Ces fluctuations ont évolué pour former aujourd’hui les murs et les vides observés dans la répartition des galaxies. Cette vue d’artiste illustre les traces des BAO dans le rayonnement fossile et la répartition des galaxies. © Chris Blake, Sam Moorfield
Hendrik Casimir (1909-2000), un physicien théoricien hollandais, a réalisé que lorsque deux miroirs sont face à face dans le vide, des fluctuations quantiques du champ électromagnétique dans ce vide vont exercer sur eux une « pression de radiation ». En moyenne, la pression externe (flèches rouges) est supérieure à la pression interne (flèches vertes). Les deux miroirs s'attirent donc mutuellement sous l'effet de ce que l'on appelle la force de Casimir (force F ici), proportionnelle à A/d4, avec A la surface des miroirs et d la distance qui les sépare. © Astrid Lambrecht
Le physicien Arnaud Dupays, l'un des auteurs d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © CNRS
Le physicien Brahim Lamine est coauteur avec Alain Blanchard et Arnaud Dupays d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © LKB
Euclid est un télescope spatial de 1,2 mètre de diamètre doté de deux caméras. Le satellite (les servitudes et la partie scientifique) sera construit en Europe, à l'exception des détecteurs infrarouges fournis par la Nasa. © Esa
Les chercheurs
français Alain Blanchard (Irap), Arnaud Dupays (Irap) et Brahim Lamine
(LKB) viennent de proposer un nouveau modèle pour l'énergie noire. Il
permet de reproduire la valeur de la constante cosmologique observée en
utilisant une dimension spatiale supplémentaire et une variante de
l'effet Casimir. Alain Blanchard nous explique ce modèle basé sur une
théorie de Kaluza-Klein, et pourquoi l’on devrait pouvoir bientôt le
tester avec des expériences de laboratoire.
Le 04/07/2013 à 11:24
- Par
Alain Blanchard est un célèbre cosmologiste
français. Membre de l'Institut universitaire de France, il est aussi
professeur à l'université Paul Sabatier. Ses travaux concernent les amas
de galaxies, le rayonnement fossile et la formation des structures en
cosmologie. Il vient de proposer avec ses collègues Arnaud Dupays et
Brahim Lamine un modèle donnant une explication pour l'énergie noire. ©
IUF
Dans un précédent article, nous avons fait
connaissance avec quelques idées de base concernant les théories
proposées par Theodor Kaluza et Oscar Klein pour unifier les forces de
la nature, uniquement ou presque au moyen d'une géométrie de l'espace-temps pluridimensionnelle. Nous voilà maintenant mieux armés pour comprendre comment et pourquoi l'énergie noire pourrait
être une manifestation de l'énergie du vide quantique dans un
espace-temps possédant une dimension spatiale supplémentaire, comme le
proposent des chercheurs français.
Alain Blanchard, Arnaud Dupays et Brahim Lamine ne
sont pas les premiers à explorer l'influence des dimensions
supplémentaires sur l'énergie du vide quantique et ses implications en
cosmologie. Mais le modèle qu'ils proposent permet de reproduire l'une
des caractéristiques les plus délicates à obtenir de la constante
cosmologique : le fait qu'elle soit positive.
Futura-Sciences a demandé à Alain Blanchard de
nous expliquer plus en détail en quoi consiste ce modèle. Le
cosmologiste est membre de l'Institut universitaire de France et
professeur à l'université Paul Sabatier de Toulouse. Ses travaux
concernent les amas de galaxies, le rayonnement fossile et la formation des structures en cosmologie.
Futura-Sciences : Il y a une dizaine d’années, peu de temps après ce qui est aujourd’hui considéré comme la découverte de l’expansion accélérée de l’univers, vous faisiez partie de ceux qui avaient des doutes quant à l’existence d’une constante cosmologique. Aujourd’hui, vous publiez avec vos collègues une théorie expliquant la nature de cette constante à partir de l’énergie du vide quantique dans le cadre des théories de Kaluza-Klein. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Alain Blanchard : Avant de vous
répondre, j’aimerais commencer par rappeler que dès 1996, j’avais
découvert avec mes collègues que les observations de l’époque concernant
le rayonnement fossile semblaient
montrer que l’univers était presque plat. Nous étions les premiers à
apporter un élément convaincant qui impliquait que la densité de
l’univers devait donc être très proche de la densité critique. Étant
donné les contraintes venant de la nucléosynthèse
primordiale et les observations concernant les supernovae connues à ce
moment-là, avant les travaux conduits par Perlmutter et Riess, cela
indiquait que l’univers contenait davantage de matière noire que ce qui
était proposé jusque-là.
Cette prédominance de la matière noire,
je l’ai retrouvée en compagnie de mes collègues dans nos travaux sur
les amas de galaxies, notamment au moyen des données d’observations dans
le domaine des rayons X avec XMM Newton.
Lorsque les mesures de WMap sont arrivées au début des années 2000, il
était cependant tout à fait clair que jointes à celles des supernovae,
on pouvait s’en servir pour soutenir l’existence d’une constante
cosmologique avec une valeur peu différente de celle que l’on mesure de
nos jours. Mais le modèle cosmologique obtenu entrait alors en conflit
avec les observations des amas que je considère toujours comme
solides. À l’époque, j’avais insisté sur le fait que les mesures de WMap
pouvaient tout à fait être mises en accord avec l'abondance de matière
noire indiquée par les amas, sans que l’on ait besoin de faire appel à
la constante cosmologique.
Le SDSS-III Baryon Oscillation Spectroscopic Survey (Boss) cartographie la distribution spatiale des galaxies lumineuses rouges (GRL) et des quasars afin de mesurer les caractéristiques des oscillations baryoniques acoustiques (BAO) dans l'univers primitif. Les ondes sonores qui se propageaient alors dans l'univers primitif, comme des vaguelettes dans un étang, ont laissé des empreintes dans les fluctuations de températures du rayonnement traduisant des fluctuations de densité. Ces fluctuations ont évolué pour former aujourd’hui les murs et les vides observés dans la répartition des galaxies. Cette vue d’artiste illustre les traces des BAO dans le rayonnement fossile et la répartition des galaxies. © Chris Blake, Sam Moorfield
Toutefois, le modèle cosmologique dont la densité est la densité critique avec prédominance de matière noire prédisait un spectre
bien particulier dans les fluctuations cosmologiques de densité de
matière initiales. On pouvait l’observer dans la répartition des
galaxies sous la forme de ce qu’on appelle les oscillations acoustiques
des baryons (BAO pour baryon acoustic oscillations en anglais). Ce spectre n’est pas en accord avec les mesures fournies par le Sloan Digital Sky Survey (SDSS). C’est en constatant ce désaccord que j’ai été finalement conduit à prendre au sérieux l’existence de l’énergie noire.
Mais je crois toujours qu’il y a un problème avec les amas de galaxies. D’ailleurs, si les dernières observations de Planck concernant les amas au moyen de l’effet Sunyaev-Zel'dovich sont
bel et bien compatibles avec l’existence de l’énergie noire, elles
confirment aussi qu’il y a quelque chose que nous ne comprenons pas bien
dans les amas.
Dans le modèle d’énergie noire découlant de l’énergie du vide quantique dans le cadre d’une théorie de Kaluza-Klein avec une dimension spatiale supplémentaire que vous proposez, vous faites le lien avec l’effet Casimir. Quel est ce lien ?
Alain Blanchard : Pour le
comprendre, il faut se souvenir que l’effet Casimir est une pression
poussant deux plaques conductrices l’une vers l’autre lorsqu’elles sont
très proches. Cela provient du fait qu’elles posent des contraintes sur
les longueurs d’onde possibles pour les fluctuations du vide du champ
électromagnétique existant entre ces plaques. On sait que ces
fluctuations, en utilisant l’électrodynamique quantique, c’est-à-dire la
description quantique la plus aboutie de l’électromagnétisme,
conduisent à des calculs qui donnent une force d’attraction entre ces
plaques dépendant de leur distance. Cette force est la conséquence
directe de la différence des densités d’énergie du vide quantique entre
les plaques et celle à l’extérieur des plaques.
Hendrik Casimir (1909-2000), un physicien théoricien hollandais, a réalisé que lorsque deux miroirs sont face à face dans le vide, des fluctuations quantiques du champ électromagnétique dans ce vide vont exercer sur eux une « pression de radiation ». En moyenne, la pression externe (flèches rouges) est supérieure à la pression interne (flèches vertes). Les deux miroirs s'attirent donc mutuellement sous l'effet de ce que l'on appelle la force de Casimir (force F ici), proportionnelle à A/d4, avec A la surface des miroirs et d la distance qui les sépare. © Astrid Lambrecht
Il se trouve que dès les années 1980, lorsque l’on a
étudié intensivement les théories de Kaluza-Klein, proposées pour
unifier les forces et les particules élémentaires en introduisant des
dimensions spatiales supplémentaires d’une taille donnée, on a découvert
que ces dimensions avaient une influence sur la densité d’énergie du
vide quantique. Dans un modèle cosmologique simple, on a un espace-temps
macroscopique plat à trois dimensions, avec en chaque point des
dimensions spatiales supplémentaires microscopiques refermées sur
elles-mêmes. Ces dimensions compactes introduisent là aussi des
contraintes sur les longueurs d’onde possibles des fluctuations des
champs quantiques s’y propageant. On obtient finalement, du point de vue
d’un observateur dans l’espace-temps plat, une contribution à l’énergie
du vide quantique qui rappelle celle de l’effet Casimir.
On étudie donc des sortes de manifestations de l’effet Casimir en cosmologie depuis longtemps. En quoi la théorie que vous avez proposée avec vos collègues se distingue-t-elle des autres ?
Alain Blanchard : Il y a
effectivement eu plusieurs théories à ce sujet, mais souvent, elles ne
permettaient pas d’expliquer une constante cosmologique uniquement comme
une manifestation de l’effet Casimir. Si on tentait de le faire, cela
débouchait sur divers problèmes. L’un des plus graves était que l’on
obtenait généralement une constante cosmologique négative, et pas
positive comme on l’observe actuellement.
Le physicien Arnaud Dupays, l'un des auteurs d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © CNRS
En réfléchissant à ces questions avec Arnaud Dupays et Brahim Lamine,
nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une autre façon d’imposer
des conditions aux longueurs d’onde des fluctuations des champs
quantiques, qui permettait de résoudre bien des problèmes.
Le physicien Brahim Lamine est coauteur avec Alain Blanchard et Arnaud Dupays d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © LKB
Quelle est donc cette « condition aux limites », comme disent les physiciens, qui vous a permis de déboucher sur votre modèle d’énergie noire ?
Alain Blanchard : Nous avons
postulé que lors du calcul sur la valeur de l’énergie du vide, il ne
fallait pas tenir compte des valeurs des longueurs d’onde supérieures à
ce qu’on appelle le rayon de Hubble, c'est-à-dire en gros la taille de
l’univers observable à un moment donné de son histoire au moins dans les
modèles cosmologiques
les plus simples. Dans un modèle très simplifié, mais susceptible de
révéler l’essentiel du mécanisme à l’origine de l’énergie noire, nous
avons découvert que non seulement il était possible d’avoir une
constante cosmologique positive, mais aussi de l’ordre de grandeur de
celle que l’on mesure si l’on ajuste la valeur du rayon des dimensions
supplémentaires. Compte tenu des contraintes sur la taille et le nombre
de dimensions spatiales supplémentaires issues des expériences menées à
ce jour, ce modèle fait intervenir une seule dimension spatiale
supplémentaire.
Il existe différentes théories proposées pour rendre compte de l’énergie noire. Certaines postulent même que la constante cosmologique n’est pas une vraie constante, mais peut changer dans le temps et dans l’espace. Peut-on tester votre modèle et le distinguer des autres ?
Alain Blanchard : Notre modèle
prédit une vraie constante cosmologique et qui n’évolue donc pas dans le
temps. Il n’est pas le seul à faire cette prédiction, mais il serait
automatiquement réfuté si l’on venait à découvrir une variation dans le
temps de l’énergie noire. Ces variations, on les cherche, et c’est
d’ailleurs l’un des objectifs au programme de la mission Euclid et
des campagnes d’observations avec le LSST. Mais ce qu’il y a
d’intéressant avec notre modèle, c’est que l’on pourrait le réfuter bien
avant la mise en orbite d’Euclid et la mise en service du LSST.
Euclid est un télescope spatial de 1,2 mètre de diamètre doté de deux caméras. Le satellite (les servitudes et la partie scientifique) sera construit en Europe, à l'exception des détecteurs infrarouges fournis par la Nasa. © Esa
Comme toutes les théories avec des dimensions
spatiales supplémentaires, la nôtre prédit un écart à la loi
d’attraction de Newton à très petites distances. Pour rendre compte de
la valeur de l’énergie noire, la dimension spatiale que nous avons
introduite doit avoir une taille de l’ordre de 35 microns,
et c’est aussi la taille à laquelle on doit commencer à voir une
modification de la loi de Newton pour la force entre deux objets séparés
par cette distance.
Or, les expériences destinées à découvrir une telle
modification de la loi de Newton, comme celles effectuées par les
chercheurs du Eöt-Wash Group,
sont presque assez sensibles pour tester notre prédiction, selon le
physicien Eric Adelberger. Avec le perfectionnement de ces expériences,
on pourrait donc avoir dans un avenir proche une réponse quant à leur
pertinence pour la cosmologie.
En revanche, si notre modèle fait lui aussi baisser la valeur de l’énergie de Planck (comme ceux proposés par Lisa Randall,
Nima Arkani-Hamed et d’autres à la fin des années 1990), elle reste
encore très élevée, avec une valeur de l’ordre d’un million de TeV.
Malheureusement, il n’y a donc aucun espoir d’en observer des
conséquences, comme d'éventuels minitrous noirs au LHC dans quelques années lorsqu’il fera des collisions à 14 TeV.