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Depuis toujours, l’homme a cherché des exemples de réussite dans son entourage, de façon à répliquer les recettes qui « marchent ». De même, en économie, on a érigé des nations en « exemple de succès », à copier pour les autres pays pour améliorer leur performances.
On peut illustrer ces propos à travers deux cas bien connus. C’est tout d’abord le Japon, qui en 1985 est considéré comme le modèle du développement économique réussi. Battu militairement et appauvri à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, occupé par les Américains et peu industrialisé, tous les investissements passés ayant été dirigés vers l’économie de guerre, le Japon a réalisé en 30 ans (1945-1985) un parcours admirable, devenant la deuxième puissance économique mondiale et s’imposant dans beaucoup de secteurs industriels (électronique, par exemple). Deux signaux ont marqué cet essor ininterrompu : la hausse continue du yen et des réserves officielles nippones ainsi que des investissements à l’étranger en croissance rapide (en particulier aux Etats-Unis). Par ailleurs, les banques japonaises trônent alors en tête du hit-parade mondial. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Japon s’efforce de sortir d’une période de déflation de 30 ans, au cours de laquelle les marchés boursiers et immobiliers nippons se sont effondrés. Une bonne partie des investissements à l’étranger a dû être revendue et la Chine a dépassé le Japon en termes de PIB. Le pays connait un vieillissement accéléré en raison d’une démographie catastrophique et peine à garder un leadership industriel (à part la robotique). Enfin, l’endettement public (qui représente plus de 260 % du PIB) limite les marges de manœuvre. La baisse récente du yen favorisée par l’excès de liquidité déclenché par la politique financière menée par Monsieur Abe ne semble pas enrayer la chûte lente mais inexorable de l’économie nippone. Exit le Japon.
Autre modèle récurrent : l’Allemagne. En deux « époques ». D’abord, au moment de la reconstruction (1945-1970), la RFA apparaît comme un modèle de solidité économique, qui se traduit par un envol du mark, réévalué quatre fois entre 1970 et 1990. Les entreprises allemandes s’imposent progressivement en Europe, puis dans le monde. La mise en place du S.M.E. (Système Monétaire Européen) donne à l’Allemagne un rôle de leader. Elle devient le modèle à copier. Et puis, arrive la réunification en 1990 : la RFA absorbe la RDA et la remet à niveau, pour un coût évalué à plus de 1 000 milliards d’euros ! Du coup, le modèle allemand s’effondre. Au début du présent millénaire, l’Allemagne est devenue « l’homme malade » de l’Europe : la production industrielle stagne, les coûts de production étant trop élevés ; le deutschmark a disparu et s’est fondu dans l’euro. On cesse de regarder le pays comme un modèle. Et puis, arrive Schröder et ses réformes drastiques, qui redonnent de la compétitivité à l’industrie allemande. L’élargissement de « l’Union Européenne » aux pays de l’Est remet la RFA au centre du jeu : la croissance repart ; le chômage baisse de 11 % à 6 %, en quelques années ; les excédents commerciaux s’accumulent. Les réformes ont porté leurs fruits et l’Allemagne redevient le modèle incontournable. Jusqu’à quand ? L’avenir allemand n’est peut-être pas aussi rose que beaucoup l’imaginent : la démographie est défavorable et transforme la RFA en pays de « rentiers-mercantilistes » (cf. les excédents de la balance commerciale) et tentés par le repli nationaliste (critiques incessantes sur les politiques économiques de l’Europe du Sud, refus d’une harmonisation fiscale et sociale, méfiance vis-à-vis des initiatives de la B.C.E.). Si l’on ajoute le choix délibéré d’une diminution du chômage par le développement du travail intérimaire et des « petits boulots » et la dépendance à l’émigration pour assurer la bonne marche de l’économie allemande, on peut se demander si le « modèle allemand » est nécessairement le bon modèle.
On pourrait multiplier les exemples. Les Etats-Unis ont été tour à tour la « quintessence du management moderne » et « le fauteur de crises » (crise du dollar, crise des « subprimes »), selon les époques. Si on illustre ces propos en examinant un domaine particulier, l’industrie automobile, on constate que celle-ci a connu des hauts et des bas : moteur de l’innovation au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, puis endormie sur ses lauriers ; ensuite, internationalisation active (Europe, Asie, Amérique Latine), puis de nouveau la crise (Détroit sinistré) et redémarrage grâce aux concurrents étrangers (Toyota, Volkswagen, Fiat) s’établissant sur place ou passant des partenariats (avec Chrysler, par exemple). Le « modèle » américain est à l’aune de cet exemple : tantôt loué (en particulier, en ce qui concerne les technologies de la communication ou le recours au « private equity »), tantôt moqué (la disparition des industries lourdes, rachetées par des étrangers, les crises bancaires à répétition).
Deuxième illustration : la Suède et sa politique sociale si exemplaire. Notons d’abord qu’il s’agit d’un pays à dimension relativement réduite : moins de 10 millions d’habitants ! Ensuite, il a connu aussi des « crises de croissance » sévères, telle la crise bancaire des années 90, où les principales banques suédoises ont fait faillite et ont dû être nationalisées avant d’être de nouveau privatisées. En outre, lors des années récentes, les divers gouvernements sont revenus sur de nombreux avantages sociaux, ce qui a entraîné une baisse des dépenses publiques (leur taux par rapport au PIB est désormais inférieur aux taux français, de même que le taux de prélèvement total).
D’un point de vue plus structurel, on a assisté en France à la vague du modèle « post-industriel » : les usines sont considérées comme ringardes ! L’avenir est aux services, au luxe et au tourisme ! Souvenons-nous du discours de Tchuruk, président d’Alcatel-Lucent, qui affirmait que le futur appartenait aux entreprises « sans usines ». Là encore, l’actualité a montré la vacuité de ce jugement. La France a connu une baisse forte de son secteur industriel (qui représente désormais moins de 10 % du PIB), alors que nos principaux concurrents continuaient à privilégier l’industriel : nous nous situons désormais derrière l’Italie et la Grande Bretagne au niveau mondial. Dans le même temps, l’Allemagne s’est renforcée et son secteur industriel représente environ deux fois le nôtre. Ces divergences se traduisent par un accroissement des excédents commerciaux chez les pays qui croient à l’industrie (Allemagne, Espagne et Italie depuis peu), alors que la France n’arrive pas à diminuer son déficit commercial. Cherchez l’erreur…
Pour conclure, on vérifie bien le danger qui existe à vouloir suivre « un modèle » à tout prix. Dans la mesure où chaque pays a des caractéristiques propres, il se doit d’inventer son propre modèle. Encore faut-il qu’il croie en son avenir et aborde les problèmes économiques avec réalisme. Entende qui pourra.
Bernard MAROIS
Autre modèle récurrent : l’Allemagne. En deux « époques ». D’abord, au moment de la reconstruction (1945-1970), la RFA apparaît comme un modèle de solidité économique, qui se traduit par un envol du mark, réévalué quatre fois entre 1970 et 1990. Les entreprises allemandes s’imposent progressivement en Europe, puis dans le monde. La mise en place du S.M.E. (Système Monétaire Européen) donne à l’Allemagne un rôle de leader. Elle devient le modèle à copier. Et puis, arrive la réunification en 1990 : la RFA absorbe la RDA et la remet à niveau, pour un coût évalué à plus de 1 000 milliards d’euros ! Du coup, le modèle allemand s’effondre. Au début du présent millénaire, l’Allemagne est devenue « l’homme malade » de l’Europe : la production industrielle stagne, les coûts de production étant trop élevés ; le deutschmark a disparu et s’est fondu dans l’euro. On cesse de regarder le pays comme un modèle. Et puis, arrive Schröder et ses réformes drastiques, qui redonnent de la compétitivité à l’industrie allemande. L’élargissement de « l’Union Européenne » aux pays de l’Est remet la RFA au centre du jeu : la croissance repart ; le chômage baisse de 11 % à 6 %, en quelques années ; les excédents commerciaux s’accumulent. Les réformes ont porté leurs fruits et l’Allemagne redevient le modèle incontournable. Jusqu’à quand ? L’avenir allemand n’est peut-être pas aussi rose que beaucoup l’imaginent : la démographie est défavorable et transforme la RFA en pays de « rentiers-mercantilistes » (cf. les excédents de la balance commerciale) et tentés par le repli nationaliste (critiques incessantes sur les politiques économiques de l’Europe du Sud, refus d’une harmonisation fiscale et sociale, méfiance vis-à-vis des initiatives de la B.C.E.). Si l’on ajoute le choix délibéré d’une diminution du chômage par le développement du travail intérimaire et des « petits boulots » et la dépendance à l’émigration pour assurer la bonne marche de l’économie allemande, on peut se demander si le « modèle allemand » est nécessairement le bon modèle.
On pourrait multiplier les exemples. Les Etats-Unis ont été tour à tour la « quintessence du management moderne » et « le fauteur de crises » (crise du dollar, crise des « subprimes »), selon les époques. Si on illustre ces propos en examinant un domaine particulier, l’industrie automobile, on constate que celle-ci a connu des hauts et des bas : moteur de l’innovation au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, puis endormie sur ses lauriers ; ensuite, internationalisation active (Europe, Asie, Amérique Latine), puis de nouveau la crise (Détroit sinistré) et redémarrage grâce aux concurrents étrangers (Toyota, Volkswagen, Fiat) s’établissant sur place ou passant des partenariats (avec Chrysler, par exemple). Le « modèle » américain est à l’aune de cet exemple : tantôt loué (en particulier, en ce qui concerne les technologies de la communication ou le recours au « private equity »), tantôt moqué (la disparition des industries lourdes, rachetées par des étrangers, les crises bancaires à répétition).
Deuxième illustration : la Suède et sa politique sociale si exemplaire. Notons d’abord qu’il s’agit d’un pays à dimension relativement réduite : moins de 10 millions d’habitants ! Ensuite, il a connu aussi des « crises de croissance » sévères, telle la crise bancaire des années 90, où les principales banques suédoises ont fait faillite et ont dû être nationalisées avant d’être de nouveau privatisées. En outre, lors des années récentes, les divers gouvernements sont revenus sur de nombreux avantages sociaux, ce qui a entraîné une baisse des dépenses publiques (leur taux par rapport au PIB est désormais inférieur aux taux français, de même que le taux de prélèvement total).
D’un point de vue plus structurel, on a assisté en France à la vague du modèle « post-industriel » : les usines sont considérées comme ringardes ! L’avenir est aux services, au luxe et au tourisme ! Souvenons-nous du discours de Tchuruk, président d’Alcatel-Lucent, qui affirmait que le futur appartenait aux entreprises « sans usines ». Là encore, l’actualité a montré la vacuité de ce jugement. La France a connu une baisse forte de son secteur industriel (qui représente désormais moins de 10 % du PIB), alors que nos principaux concurrents continuaient à privilégier l’industriel : nous nous situons désormais derrière l’Italie et la Grande Bretagne au niveau mondial. Dans le même temps, l’Allemagne s’est renforcée et son secteur industriel représente environ deux fois le nôtre. Ces divergences se traduisent par un accroissement des excédents commerciaux chez les pays qui croient à l’industrie (Allemagne, Espagne et Italie depuis peu), alors que la France n’arrive pas à diminuer son déficit commercial. Cherchez l’erreur…
Pour conclure, on vérifie bien le danger qui existe à vouloir suivre « un modèle » à tout prix. Dans la mesure où chaque pays a des caractéristiques propres, il se doit d’inventer son propre modèle. Encore faut-il qu’il croie en son avenir et aborde les problèmes économiques avec réalisme. Entende qui pourra.
Bernard MAROIS
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