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DROIT À L’OUBLI NUMÉRIQUE
03-Jun-2014
Par une décision remarquée du 13 mai 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) reconnaît qu’une personne peut exiger la suppression, de la liste de résultats d’un moteur de recherche, des liens renvoyant vers des informations la concernant. Cette décision consacre ainsi un nouveau droit. Il s’agit du droit à l’oubli numérique.
Cette décision a été rendue par la CJUE à la suite de plusieurs questions préjudicielles qui lui étaient posées par la juridiction d’appel espagnole (l’Audiencia Nacional), saisie de deux recours séparés de Google Spain et de Google Inc. contre une décision de l’Agence Nationale Espagnole de Protection des Données (AEPD), qui avait accueilli la demande d’un citoyen espagnol que soit ordonnée à ces sociétés de supprimer ou d’occulter ses données personnelles, afin qu’elles cessent d’apparaître dans les résultats de recherche. Cet individu regrettait, en effet, que la saisie de son nom dans le moteur de recherche du groupe Google fasse apparaître des liens vers deux pages d’un quotidien espagnol publiées en 1998, sur lesquelles figurait une annonce mentionnant son nom dans le cadre d’une vente aux enchères immobilières liée à une saisie pratiquée en recouvrement de dettes de sécurité sociale.
L’une des questions préjudicielles qui était posée à la CJUE était la suivante :
"Le droit d’obtenir l’effacement et le verrouillage des données à caractère personnel et celui de s’opposer à ce qu’elles fassent l’objet d’un traitement (droits régis par les articles 12, sous b), et 14, [premier alinéa,] sous a), de la [directive 95/46,]) doivent être interprétés comme permettant à la personne concernée de s’adresser aux moteurs de recherche afin de faire obstacle à l’indexation des informations concernant sa personne, publiée sur des sites web de tiers, en invoquant sa volonté que ces informations ne soient pas connues des internautes lorsqu’elle considère que ces informations sont susceptibles de lui porter préjudice ou lorsqu’elle désire que ces informations soient oubliées, alors même qu’il s’agirait d’informations publiées légalement par des tiers?".
Après avoir indiqué que les opérations réalisées par l’exploitant d’un moteur de recherche, dans le cadre de ses activités de référencement, sont des traitements de données à caractère personnel, la CJUE a considéré que, dans la mesure où cet exploitant détermine lui-même les finalités et les moyens de ces traitements, il doit être regardé comme un responsable du traitement. Dans ces conditions, il lui appartient de satisfaire aux exigences de la directive 95/46 (…) pour que "les garanties prévues par celle-ci puissent développer leur plein effet".
A cet égard, il se doit, en application de l’article 12, sous b), de la directive 95/46, de faire droit à la demande de toute personne concernée de rectifier, effacer ou verrouiller les données dont le traitement n’est pas conforme à la directive, notamment en raison du caractère incomplet ou inexact des données. Selon la CJUE, cette non-conformité peut résulter "non seulement du fait que ces données sont inexactes, mais, en particulier, aussi du fait qu’elles sont inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement, qu’elles ne sont pas mises à jour ou qu’elles sont conservées pendant une durée excédant celle nécessaire, à moins que leur conservation s’impose à des fins historiques, statistiques ou scientifiques".
Il en découle alors qu’"un traitement initialement licite de données exactes peut devenir, avec le temps, incompatible avec cette directive lorsque ces données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées".
Dans ces conditions, la CJUE a considéré qu’"eu égard à la sensibilité des informations contenues dans ces annonces pour la vie privée de ladite personne et au fait que leur publication initiale avait été effectuée 16 ans auparavant, la personne concernée justifie d’un droit à ce que ces informations ne soient plus liées à son nom au moyen d’une telle liste". Par conséquent, la personne concernée peut, notamment en vertu de l’article 12, sous b), susvisé de la directive 95/46, exiger la suppression des liens figurant dans cette liste de résultats.
Il convient de noter que la solution aurait été tout autre si des "raisons particulières" avaient existé, justifiant "un intérêt prépondérant du public, à avoir, dans le cadre d’une telle recherche, accès à ces informations ". Sur ce point, la CJUE souligne que le rôle joué par la personne concernée dans la vie publique peut s’analyser comme une "raison particulière", justifiant ainsi "l’ingérence dans ses droits fondamentaux", en raison de "l’intérêt prépondérant" dudit public à avoir accès à l’information en question.
La CJUE établit ainsi une hiérarchie entre les droits et intérêts en cause : le droit d’exiger qu’une information ne soit plus mise à la disposition du public "du fait de son inclusion dans une telle liste de résultats" prévaut, sauf "raisons particulières", "non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt de ce public à accéder à ladite information lors d’une recherche portant sur le nom de cette personne".
Il convient de relever que la question préjudicielle qui est à l’origine de cette décision portait sur l’interprétation des articles 12, sous b), et 14, [premier alinéa,] sous a), de la directive 95/46, dans un cadre précis, qui est celui d’une indexation, par un moteur de recherche, d’informations publiées sur un autre site. Alors, si on peut effectivement parler, avec cette décision, de consécration du droit à l’oubli numérique, il conviendra, pour en apprécier sa portée réelle, de voir comment ce droit va se transposer dans d’autres situations, dans lesquelles un internaute aurait un intérêt à ce que des informations le concernant n’apparaissent plus.
Ainsi, après avoir été consacré par le juge communautaire par cette décision du 13 mai 2014, le droit à l’oubli numérique pourrait encore faire parler de lui dans les prochains mois (avant la fin de l’année probablement), dans le cadre de l’adoption par le Conseil des ministres de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2012, qui prévoit, dans son article 17 - intitulé "Droit à l’oubli numérique et à l’effacement" - que "la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l’effacement de données à caractère personnel la concernant et la cessation de la diffusion de ces données".
Alexandre Fiévée
Avocat au Barreau de Paris
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